7. Preuve d'identité
Par « identité », on entend généralement le ou les noms qu'une personne utilise ou a utilisés pour s'identifier. Ce terme s'entend également des indications d'état civil, comme le pays de nationalité ou l'ancien pays de résidence habituelle, la citoyenneté, la race, l'appartenance ethnique, la langue maternelle et l'affiliation politique, religieuse ou sociale.
Ce chapitre se concentre principalement sur l'évaluation de la preuve d'identité dans les procédures de détermination du statut de réfugié. Cependant, divers principes décrits ci-dessous peuvent également être applicables lors de l'évaluation de la preuve d'identité dans d'autres types de procédures devant la Commission.
7.1 Obligation du demandeur d'asile d'établir son identité
La question de l'identité est fondamentale pour les demandes d'asile faites au titre des
articles 96 et
97 de la LIPRNote de bas de page 150. La LIPR et les
Règles de la Section de la protection des réfugiés contiennent toutes deux des dispositions particulières régissant la preuve de l'identité devant la SPR.
L'article 106 de la LIPR est ainsi libellé :
La Section de la protection des réfugiés
prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer [soulignement ajouté].
La
règle 11 des
Règles de la Section de la protection des réfugiés (anciennement la règle 7) prévoit ce qui suit :
Le demandeur d'asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S'il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s'en procurer.
Pris ensemble, l'article 106 de la LIPR et la règle 11 des
Règles de la Section de la protection des réfugiés imposent au demandeur d'asile le fardeau de produire des documents acceptables pour établir son identité selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 151. Si un demandeur d'asile ne peut obtenir de tels documents, il doit raisonnablement en justifier la raison et démontrer que des mesures raisonnables ont été prises pour les obtenir. Le libellé de chacune des dispositions a un caractère obligatoire, bien que ni l'une ni l'autre ne précise comment ce facteur doit être apprécié dans un cas particulier.
Il appartient à la SPR de déterminer au cas par cas ce qui constitue des « documents acceptables » pour établir l'identité. Dans l'affaire
OmaboeNote de bas de page 152, la Cour fédérale a décrit les obligations des demandeurs d'asile au titre de l'article 106 et de la règle 11 comme étant un « lourd fardeau ».
Dans l'affaire
MatangaNote de bas de page 153, la Cour fédérale a expliqué qu'un demandeur d'asile doit présenter des documents acceptables pour établir son identité et son trajet vers le Canada. Conformément à l'article 106 de la LIPR, la SPR peut tenir compte de l'absence de preuve d'identité acceptable dans son évaluation de la crédibilité du demandeur d'asile. Dans certains cas, si le demandeur d'asile donne des explications sérieuses, le tribunal peut excuser la perte ou l'absence de documents acceptables. Dans l'affaire en question, la demandeure d'asile n'a fourni aucune explication sérieuse pour expliquer la perte de son faux passeport français et l'absence de documents d'identité officiels. La Cour a confirmé le rejet de la demande d'asile par la SPR au motif que l'identité n'avait pas été établie.
Dans l'affaire
Pazmandi,Note de bas de page 154 la Cour fédérale a statué que l'article 106 se réfère uniquement à l'identité personnelle et/ou nationale. Le tribunal a conclu que si l'appartenance ethnique peut être considérée comme des composantes de l'identité (comme la religion, la sexualité et d'autres caractéristiques personnelles fondamentales), elles ne relèvent pas de l'identité dont il est question à l'article 106. De telles caractéristiques relèvent plutôt de la Règle 11 des
Règles de la Section de la protection des réfugiés.
La Cour fédérale a déclaré que la question de l'identité est « au cœur même de l'expertise de la SPR » et que la conclusion de la SPR quant à l'identité appelle un degré élevé de retenueNote de bas de page 155.
7.2 Appréciation des documents d'identité
Dans l'affaire
TeweldebrhanNote de bas de page 156, la Cour fédérale a statué que la Commission est tenue d'examiner et d'apprécier tous les documents présentés par un demandeur d'asile à l'appui de son identité :
[19] La SPR pouvait écarter la présomption de validité des pièces d'identité de M. Teweldebrhan, mais elle était tout de même tenue d'examiner ou d'apprécier à tout le moins l'authenticité et la valeur probante de chacune de ces pièces, de même que celles des lettres et des affidavits qu'il avait produits au soutien de sa demande […]. Le défaut de la SPR de ce faire a rendu déraisonnable sa conclusion selon laquelle M. Teweldebrhan n'avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités.
Dans l'affaire
NurNote de bas de page 157, la Cour a statué qu'il est bien établi en droit que chaque élément de preuve pertinent doit être examiné séparément et que, bien que les préoccupations relatives à l'authenticité des documents présentés par un demandeur d'asile puissent être des motifs d'examiner attentivement d'autres éléments de preuve présentés à l'appui de la demande d'asile, il n'est ni raisonnable ni justifiable de regrouper la preuve et de la traiter comme une masse indifférenciée. Les éléments de preuve doivent plutôt être examinés individuellement, et le tribunal peut alors tirer des conclusions globales concernant la crédibilité ou le caractère suffisant de la preuve prise dans son ensemble.
La classification d'un document d'identité comme étant primaire, par opposition à secondaire ou tertiaire, peut aider le tribunal à déterminer le poids à lui accorder. Toutefois, la Cour fédérale était d'avis que la Commission ne devait pas donner une confiance excessive à une telle classificationNote de bas de page 158.
En l'absence de documents corroborants, l'identité peut être établie au moyen d'un témoignage crédible et d'une explication raisonnable du fait qu'aucune pièce d'identité n'existe. Des éléments de preuve sur des démarches infructueuses visant à obtenir des pièces d'identité sont pertinents, et ils peuvent permettre de l'emporter sur les préoccupations relatives au caractère suffisant des pièces produites, considérant que dans certaines régions du monde, il peut être difficile, sinon impossible, d'obtenir des pièces d'identité convaincantesNote de bas de page 159.
Lorsqu'elle établit l'identité d'une personne, la Commission ne devrait accorder aucun poids à un document si elle estime que le document est faux ou qu'il n'est pas authentiqueNote de bas de page 160. De plus, la présentation d'un faux document peut avoir une incidence sur d'autres décisions quant à la crédibilité rendues à l'égard d'un demandeur d'asileNote de bas de page 161.
La Commission est considérée comme étant compétente dans l'évaluation de l'authenticité des pièces d'identité. Les pièces d'identité étrangères (c.-à-d. les documents censés avoir été délivrés par un fonctionnaire étranger compétent) doivent être acceptées comme faisant preuve de leur contenu, sauf s'il existe une raison valable de douter de leur authenticitéNote de bas de page 162. Toutefois, s'il y a des irrégularités au recto d'une pièce d'identité (p. ex. absence de photographie, fautes d'orthographe, lettrage irrégulier, alignement variable, passages effacés), le tribunal peut, en l'absence d'une explication satisfaisante, ne pas accorder de poids au document sans demander une expertiseNote de bas de page 163. De même, le tribunal peut conclure qu'une personne est ou n'est pas celle qui est représentée sur une photographie et il n'est pas tenu de recourir au témoignage d'un expert pour se prononcer à cet égardNote de bas de page 164.
Dans la décision
ZhuangNote de bas de page 165, la Cour fédérale a statué que les divergences relevées au vu d'un document par rapport aux spécimens contenus dans le cartable national de documentation (CND), pourraient constituer, en totalité ou en partie, des motifs suffisants pour conclure qu'un document produit n'est pas authentique.
La Cour fédérale a statué que la preuve d'une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n'est pas en soi suffisante pour justifier le rejet par la Commission de documents étrangers au motif qu'il s'agit de fauxNote de bas de page 166.Toutefois, cela peut être un facteur pertinent s'il existe d'autres raisons de douter de l'authenticité d'un document ou de la crédibilité d'une personne.
Dans l'affaire
AttakoraNote de bas de page 167, la Cour d'appel fédérale a conclu que le fait qu'un demandeur d'asile avait détruit des faux documents de voyage en se rendant au Canada n'était pertinent pour aucune des questions que la Commission devait trancher. Le demandeur d'asile a expliqué avoir détruit les documents par crainte d'être arrêté et retourné dans son pays d'origine s'ils étaient découverts. Toutefois, dans l'affaire Katsiashvili,Note de bas de page 168 la Cour a statué qu'il était loisible à la SPR de tirer des conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur pour avoir omis de fournir un motif raisonnable pour expliquer la raison pour laquelle il avait détruit son véritable passeport et de n'avoir pris aucune mesure pour qu'on lui envoie des documents d'identité supplémentaires.
Le tribunal doit communiquer à la personne ses préoccupations concernant l'authenticité des documents d'identité qu'elle a fournis et lui donner l'occasion de les dissiperNote de bas de page 169. Le tribunal peut, pourvu qu'il ait d'abord déclaré ses connaissances spécialisées et ait donné aux parties la possibilité de répondre, se fonder sur ses connaissances spécialisées de la documentation sur le pays (par exemple, les indications d'authenticité d'un document provenant d'un pays particulier ou le fait que les demandeurs d'asile d'un pays particulier viennent habituellement avec certains types de documents)Note de bas de page 170.
7.3 Défaut d'établir l'identité
Comme il a été mentionné précédemment, pour un demandeur d'asile, la preuve d'identité est une exigence essentielle. Sans preuve d'identité, il ne peut y avoir de fondement solide permettant de vérifier des allégations de persécution, ou même d'établir la nationalité réelle d'un demandeur d'asileNote de bas de page 171. Il est bien établi en droit que, lorsque le demandeur d'asile n'a pas établi son identité, une conclusion défavorable quant à la crédibilité sera presque inévitablement tirée et peut, à elle seule, entraîner le rejet d'une demande d'asileNote de bas de page 172.