Mexique : information sur la corruption au sein des unités policières et militaires, y compris les liens avec les groupes du crime organisé; la réponse de l’État et de l’armée à la corruption, y compris son efficacité; la protection offerte par l’État aux victimes et aux témoins d’actes de corruption, y compris les mécanismes de plainte pour signaler de tels actes (2022-août 2024)
1. Aperçu
Dans son Indice de perception de la corruption (Corruption Perceptions Index) pour 2023, qui mesure la perception de la corruption dans le secteur public partout dans le monde, Transparency International, une ONG internationale sans but lucratif visant à [traduction] « mettre fin à la corruption et à promouvoir la transparence » par la prise de position, l’organisation de campagnes et la recherche (Transparency International s.d.), donne au Mexique un score de 31 sur une échelle de 0 (« très corrompu ») à 100 (« très peu corrompu ») (2024). Ce score place le Mexique au 126e rang sur 180 pays, par ordre croissant du moins corrompu au plus corrompu (Transparency International 2024).
D’après les données de l’enquête nationale sur la qualité et l’incidence du gouvernement (Encuesta nacional de calidad e impacto gubernamental - ENCIG) de 2023 menée par l’Institut national de la statistique et de la géographie du Mexique (Instituto Nacional de Estadística y Geografía – INEGI), à partir desquelles l’INEGI a pu établir des [traduction] « estimations représentatives » à l’échelle du pays et des États pour la population âgée de 18 ans et plus dans les villes comptant plus de 100 000 habitants, d’après un échantillon de 46 000 ménages interrogés au cours de la période du 30 octobre au 15 décembre 2023, 83,1 p. 100 des personnes sondées considéraient que les actes de corruption étaient « répandus » ou « très répandus » dans leur État; ce chiffre était de 86,3 p. 100 en 2021 (Mexique 2024-03, 3, 4, 172). Selon la même source, les répondants à l’enquête de 2023 ont affirmé que, dans la plupart des cas, la corruption de l’État s’observait lors d’interactions avec les autorités de sécurité publique, 59,4 p. cent d’entre eux signalant avoir été témoin [traduction] « d’un acte quelconque de corruption » lors de « contacts avec les autorités de sécurité publique » (Mexique 2024-03, 189). De plus, la même enquête de 2023 montre que, à l’échelle nationale, 86,7 p. 100 des répondants étaient d’avis que les policiers étaient les acteurs les plus corrompus; 37,1 p. 100 des répondants disaient avoir [traduction] « confiance » en la police, la Garde nationale (Guardia Nacional) était perçue comme étant digne de confiance dans une proportion de 65,6 p. 100 et ce pourcentage s’élevait à 71,5 p. 100 pour l’armée et la marine (Mexique 2024-03, 212, 270).
Selon des sources, [l’ancien] président Andrés Manuel López Obrador [fonction dont Claudia Sheinbaum, élue en juin 2024, a pris la relève le 1er octobre 2024 (Reuters 2024-10-02)], a suspendu la Police fédérale [en 2019 (CNN 2024-06-26)] et a créé pour la remplacer une nouvelle Garde nationale sous contrôle civil (AP 2021-06-15; CNN 2024-06-26). Cependant, on peut lire dans un rapport publié par l’International Crisis Group (Crisis Group) sur l’armée et la criminalité au Mexique que la Garde nationale est [traduction] « étroitement associée à l’armée » depuis sa création et que « tous les membres de sa structure de commandement de même que 86 p. 100 de ses employés sont des militaires » (2024-05-24, 7). Selon l’Indice de transformation de la Fondation Bertelsmann de 2024 (Bertelsmann Stiftung Transformation Index (BTI) 2024), qui [traduction] « évalue la transition vers la démocratie et l’économie de marché ainsi que la qualité de la gouvernance dans 137 pays », le Congrès a approuvé le transfert du contrôle opérationnel et administratif de la Garde nationale à partir du ministère de la Sécurité publique vers le Secrétariat de la défense nationale (Secretaría de la Defensa Nacional – SEDENA), bien que la constitution précise que la Garde nationale est une institution civile (Bertelsmann Stiftung 2024, 2, 9–10). Des sources signalent que la Cour suprême a annulé le transfert du contrôle de la Garde nationale à l’armée en 2023, l’ayant jugé anticonstitutionnel, mais que, en septembre 2024, le Congrès et le Sénat ont approuvé une réforme constitutionnelle inscrivant le transfert dans la loi (Reuters 2024-09-25; AP 2024-09-25).
Selon le Crisis Group, le gouvernement López Obrador n’a [traduction] « pas toujours fait preuve de transparence » en ce qui concerne sa stratégie de lutte contre la criminalité ou les façons dont il s’en prend aux criminels, « en particulier, lorsqu’il s’agit du rôle de l’armée à cet égard » (2024-05-24, 2). Selon la même source, les mesures prises par le gouvernement pour s’attaquer à la corruption de l’État et à l’impunité judiciaire dans les régions touchées par la criminalité n’ont pas été couronnées de succès (Crisis Group 2024-05-24, 3). De même, d’après le BTI 2024, les résultats obtenus par le pays dans sa lutte contre la corruption [traduction] « sont médiocres » (Bertelsmann Stiftung 2024, 39).
Le Crisis Group signale que le Plan national pour la paix et la sécurité (Plan nacional de paz y seguridad) établi par le gouvernement en 2018 prévoit [traduction] « divers autres objectifs relatifs aux forces de sécurité et au système judiciaire », dont celui « "[d’]éradiquer" la corruption en poursuivant les auteurs de crimes en col blanc, comme le blanchiment d’argent, et en promettant de mettre fin à la pratique répandue parmi les fonctionnaires d’accepter des pots-de-vin » (2024-05-24, 4). Selon le BTI 2024, le Groupe de travail sur la corruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a souligné que les efforts du Mexique en matière de lutte contre la corruption étaient [traduction] « insuffisants » et s’est dit « "très préoccupé par le fait que le Mexique n’a complètement mis en œuvre aucune des recommandations" formulées dans son évaluation de 2018 » (Bertelsmann Stiftung 2024, 39).
Le Crisis Group signale que, d’après un rapport du Bureau du vérificateur supérieur de la Fédération du Mexique (Auditoría Superior de la Federación - ASF), sous le gouvernement López Obrador, le [traduction] « pourcentage de contrats publics signés sans appel d’offres [a atteint] le taux le plus élevé jamais enregistré » et que les détournements de fonds publics « demeureraient courants » (2024-05-24, 5).
D’après Reuters, le gouvernement López Obrador [traduction] « a fait passer sous le contrôle de l’armée un nombre croissant de fonctions dans l’aviation traditionnellement assumées par le secteur civil » (2023-08-10); de son côté, le Crisis Group signale que ce gouvernement a donné [traduction] « un vaste éventail de responsabilités aux forces armées » (2024-05-19). Selon des sources, l’armée supervise ce qui suit :
- la construction d’un nouvel aéroport (Crisis Group 2024-05-24, 9; Bertelsmann Stiftung 2024, 9) à Mexico (Bertelsmann Stiftung 2024, 9);
- l’administration de l’aéroport international de Mexico (Reuters 2023-08-10);
- la construction du train Maya (Bertelsmann Stiftung 2024, 9; Crisis Group 2024-05-24, 8–9), un [traduction] « chemin de fer de près de 1 610 km qui traverse la péninsule du Yucatán »;
- l’administration de Mexicana, une nouvelle compagnie aérienne (Reuters 2023-08-10; Crisis Group 2024-05-24, 9);
- les douanes (Bertelsmann Stiftung 2024, 9).
D’après un article d’opinion écrit par deux membres du personnel du Centre d’études stratégiques et internationales (Center for Strategic and International Studies – CSIS), [traduction] « un organisme de recherche stratégique bipartisan sans but lucratif » aux États-Unis qui mène des recherches « sur les enjeux à court et à long terme qui détermineront la prospérité et la sécurité américaines » (CSIS s.d.), le gouvernement du Mexique a octroyé à l’armée [traduction] « de nombreux contrats publics sans les mesures de protection requises contre la corruption, en contravention avec les exigences du Mexique en matière de transparence et d’appels d’offres; de plus, les forces armées ont hérité de fonctions civiles » (Berg & Polo 2023-09-05).
Vanda Felbab-Brown, chercheuse principale en politique étrangère à l’Institut Brookings (Brookings Institution), une organisation sans but lucratif de recherche en politiques publiques à Washington (Brookings Institution s.d.), a déclaré, dans son témoignage au Comité de la Chambre des représentants des États-Unis sur la sécurité intérieure en juillet 2023, que Andrés Manuel López Obrador [traduction] « a aboli la Police fédérale », en raison de « son infiltration par les groupes criminels mexicains, un problème systématique et généralisé au sein de l’ensemble des forces policières du Mexique depuis des décennies » (Felbab-Brown 2023-07-19). Selon la même source, comparativement à l’ancienne Police fédérale, la Garde nationale, créée pour la remplacer, [traduction] « n’a pas de mandat d’enquête et sa capacité est très limitée » (Felbab-Brown 2023-07-19).
2. Corruption au sein des unités policières et militaires
Le rapport du Crisis Group sur la criminalité et l’armée au Mexique reprend un extrait du Plan national pour la paix et la sécurité déposé par l’ancien président López Obrador en 2018, où il est signalé que [traduction] « de nombreuses forces policières étaient "contrôlées par le crime organisé ou mues par leurs propres intérêts et la corruption" » (2024-05-24, 6). Pour le même rapport, le Crisis Group a mené plus de 80 entrevues avec des [traduction] « commandants militaires, des policiers, des représentants de tous les ordres de gouvernement, des militants de la société civile, des civils, des journalistes et des universitaires, de même qu’avec des chefs, des intermédiaires et des combattants criminels », à Colima, à Mexico, au Michoacán et au Veracruz; il y a au Michoacán et au Veracruz de « vastes déploiements militaires » (2024-05-24, 2). Selon le rapport, un [traduction] « modus vivendi s’est établi » dans les régions où il y a une présence militaire, à savoir que « les forces armées n’interviennent pas dans les affaires des groupes criminels du moment que certaines règles officieuses sont respectées » et les autorités sont disposées à « tolérer » la violence, à condition qu’elle n’entraîne pas « "trop de décès" » (Crisis Group 2024-05-24, 13). Au cours d’un entretien mené par le Crisis Group dans le Michoacán en novembre 2021, un membre du groupe criminel les Chevaliers templiers (Los Caballeros Templarios) a affirmé que le gouvernement [traduction] « "peut et veut fermer les yeux" » (2024-05-24, 13). Selon des sources d’organisations criminelles interrogées par le Crisis Group, [traduction] « les membres des forces armées » et les représentants « du gouvernement fédéral, qui ont été dépêchés peu après l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador, expliquent directement ou implicitement l’ampleur de la violence qu’ils toléreront » (2024-05-24, 13).
Les chefs d’organisations criminelles du Michoacán interrogés par le Crisis Group entre 2021 et 2023 ont déclaré que les points de contrôle et les patrouilles des autorités d’application de la loi sont [traduction] « faciles à éviter », ajoutant avoir conclu des « accords de tolérance mutuelle qui régissent la cohabitation des forces de sécurité et des criminels » (2024-05-24, 14). La même source signale que l’armée et la marine procédaient à des arrestations, mais que, en 2022, [traduction] « toutes » les arrestations avaient eu lieu pendant la perpétration d’un crime et non dans « le cadre d’efforts systématiques visant à démanteler les échelons intermédiaires et supérieurs des groupes criminels » (Crisis Group 2024-05-24, 14).
S’appuyant sur des données de l’INEGI du Mexique, la plateforme mexicaine de nouvelles en ligne Proceso signale dans un article que, en 2022, la Garde nationale a appréhendé 177 166 migrants, ce qui représente une augmentation de 432,5 p. 100 par rapport à 2021, et 2 814 criminels présumés, [traduction] « principalement » sous des accusations de vol et de trafic de stupéfiants, soit une diminution de 59,9 p. 100 par rapport à 2021 (2023-11-17). De plus, la même source souligne que, d’après les données de l’INEGI, la Garde nationale a arrêté 38 personnes sous des accusations liées au crime organisé en 2022 (Proceso 2023-11-17).
On peut lire dans le rapport annuel de Human Rights Watch pour 2023 que [traduction] « [l]es policiers, les procureurs et les soldats ont couramment recours à la torture pour obtenir des confessions et soutirer des renseignements » et que, dans un sondage auprès de personnes incarcérées réalisé en 2021 par l’INEGI, « près de la moitié des répondants ont dit que des policiers ou des soldats les avaient agressés physiquement pendant leur détention »; de plus, 38 p. 100 des personnes ayant avoué un crime ont déclaré l’avoir fait parce que « les autorités les avaient battues ou menacées » (2024-01-11, 422–423). Selon Human Rights Watch, les organismes d’application de la loi sont tenus par la loi de consigner les détentions dans le Registre national des détentions (Registro Nacional de Detenciones); cependant, [traduction] « [l]’armée et la marine continuent de détenir des civils sans inscrire ces détentions dans le registre » (2024-01-11, 423). La Commission nationale des droits de la personne (Comisión Nacional de los Derechos Humanos – CNDH) du Mexique signale avoir reçu 441 plaintes visant le SEDENA et 385 visant la Garde nationale en 2023 (Mexique 2024-01, 15), et qu’elle avait reçu 359 plaintes contre le SEDENA et 350 contre la Garde nationale en 2020 (Mexique 2020-12, 54).
Une enquête publiée conjointement par le New York Times et ProPublica, un média sans but lucratif qui enquête sur [traduction] « les abus de pouvoir et les trahisons de la confiance du public » (ProPublica s.d.), signale le cas d’un général mexicain et ancien secrétaire à la Défense qui a été arrêté par les États-Unis en octobre 2020 pour trafic de stupéfiants, mais a plus tard été libéré, en raison de [traduction] « "l’intérêt général" à préserver la coopération » entre le Mexique et les États-Unis dans la lutte contre les groupes de trafic de stupéfiants, qui « a été jugé plus important que la poursuite de cet homme » (ProPublica & The New York Times 2022-12-08). Selon la même source, l’ancien président López Obrador a qualifié les accusations de [traduction] « "foutaises" » et a déclaré que les autorités américaines essayaient de « piéger un chef militaire innocent et respecté »; l’ancien secrétaire à la Défense a finalement été innocenté par un tribunal mexicain en janvier 2021, la poursuite s’étant abstenue d’interroger plusieurs témoins et associés possibles (ProPublica & The New York Times 2022-12-08).
D’après un article d’opinion rédigé par Shannon O’Neil, chercheuse principale au Conseil des relations étrangères (Council on Foreign Relations – CFR), un groupe de réflexion [traduction] « indépendant » et « non partisan » aux États-Unis et qui agit comme éditeur dans le domaine des affaires internationales (CFR s.d.), bien que l’armée mexicaine jouisse d’un [traduction] « degré de confiance plus élevé » que bien d’autres institutions, elle fait l’objet de plusieurs « accusations crédibles », y compris d’allégations de recours inutile à la force, de corruption et de liens avec le milieu criminel (O’Neil 2023-04-26). La même source ajoute que des documents militaires [traduction] « piratés » divulgués par Guacamaya, une organisation latino-américaine semblable à Wikileaks, « montrent [que] des officiers ont illégalement espionné des journalistes, vendu des armes aux cartels et siphonné des millions de dollars par l’intermédiaire de contrats gouvernementaux » (O’Neil 2023-04-26).
2.1 Armée et crime organisé
L’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale (Global Initiative Against Transnational Organized Crime – GI-TOC), [traduction] « une organisation de la société civile indépendante ayant son siège à Genève » (GI-TOC s.d.), signale dans son indice de criminalité pour le Mexique de 2023 que le gouvernement [traduction] « s’appuie, sans grand succès, sur la militarisation pour lutter contre le crime organisé », les efforts du gouvernement en matière de lutte contre « la corruption et le crime organisé au sein de l’État » y étant qualifiés de « symboliques » (2023, 6).
D’après les entretiens menés par le Crisis Group, [traduction] « [a]u fil des années »,
les chefs criminels ont décrit comment ils se sont implantés dans les institutions afin d’obtenir l’impunité, d’acquérir des revenus additionnels ou d’utiliser les forces de l’État à leur avantage. De telles relations sont généralement considérées comme une condition sine qua non pour survivre et surpasser ses concurrents criminels. Dans nombre de cas, les fonctionnaires sont des partenaires obligeants (2024-05-24, 23, en italique dans l’original).
La même source a interrogé un chef criminel du Michoacán en 2023, lequel a déclaré ce qui suit au sujet des [traduction] « agents du bureau du procureur fédéral et d’autres organes de sécurité » :
Dès qu’ils arrivent ici, ils cherchent [à établir un contact]. Quand l’ancien part, il explique la ligne [de communication] à son remplaçant : « Cette personne vous appellera, concluez une entente avec elle. » Nous discutons et c’est réglé. Si ce n’est pas le cas, j’envoie quelqu’un cogner à sa porte pour lui expliquer comment les choses fonctionnaient avec son prédécesseur et lui faire savoir que je veux continuer à travailler de la même façon. Il est très rare de se faire dire non. Personne ne veut mourir pour quelque chose qui ne fonctionne pas. Personne ne va risquer sa vie pour une quincena [salaire bimensuel] (Crisis Group 2024-05-24, 23, en italique et entre crochets dans l’original).
Sans donner d’autres détails, l’Administration de la lutte antidrogue (Drug Enforcement Administration – DEA) des États-Unis écrit, dans son rapport de 2024 sur l’évaluation nationale de la menace posée par la drogue (National Drug Threat Assessment – NDTA), que le cartel de Jalisco fabrique des stupéfiants et en fait le trafic avec une [traduction] « relative impunité dans certaines régions du Mexique, en soudoyant et en intimidant des fonctionnaires, des militaires et des agents des forces de l’ordre à tous les échelons » (É.-U. 2024-05, 15). Selon la même source, le cartel de Jalisco [traduction] « a mené des attaques très médiatisées contre les forces militaires et policières du Mexique; par exemple, 6 soldats sont morts dans l’écrasement d’un hélicoptère militaire abattu par le cartel, et le chef de police de Mexico a été victime d’une tentative d’assassinat »; quant à lui, le cartel de Sinaloa est « en mesure de mener librement ses activités dans certaines régions du Mexique puisqu’il jouit d’un réseau d’agents d’application de la loi, de militaires et de politiciens corrompus » (É.-U. 2024-05, 10).
Des sources signalent que, en février 2023, l’ancien secrétaire de la Sécurité publique du Mexique a été déclaré coupable par un tribunal américain d’avoir accepté de la part du cartel de Sinaloa des pots-de-vin dont le montant s’élevait à des [traduction] « millions » de dollars (É.-U. 2024-05, 10; BBC 2023-02-22). Il est écrit dans le NDTA publié par la DEA en 2024 que l’ancien secrétaire de la Sécurité publique [traduction] « a utilisé ses fonctions officielles pour aider le cartel de Sinaloa à faire le trafic de tonnes de stupéfiants […] vers les États-Unis » et que les « pots-de-vin ont augmenté au fil des ans à mesure que le cartel de Sinaloa prenait de l’expansion et gagnait en pouvoir grâce au soutien de l’ancien secrétaire » (É.-U. 2024-05, 10).
Selon le BTI 2024, en janvier 2023, 25 membres du cartel de Sinaloa se sont échappés d’une prison à Ciudad Juárez, [traduction] « entraînant la mort de 10 gardiens et agents de sécurité »; cet événement « a mis en lumière l’étendue du contrôle des narcotrafiquants sur le système carcéral et suscité le débat sur la politique de sécurité quasi inexistante du président » (Bertelsmann Stiftung 2024, 6).
3. Réponse de l’État
Selon un membre d’un comité du congrès sur la supervision des forces armées qui a été interrogé par le Crisis Group en juillet 2023, certaines régions où sévissent des conflits armés sont considérées comme étant [traduction] « "irrécupérables" » et les décideurs hésitent à « "assumer le coût politique de ce qu’il juge être une cause perdue" » (2024-05-24, 14). De même, un [traduction] « ancien haut responsable fédéral de la sécurité » interrogé par le Crisis Group en février 2023 a déclaré que « l’adoption d’une approche active à l’égard des groupes criminels et de l’insécurité est vue comme un "boulet, et non comme une force" politique » (2024-05-24, 14).
De l’avis de Vanda Felbab-Brown, les groupes criminels au Mexique [traduction] « dirigent une part de plus en plus grande du territoire, de l’économie et des institutions ainsi qu’un grand nombre de personnes » tandis que « [l]es capacités du Mexique en matière d’enquête et de poursuite demeurent limitées » (2023-07-19). La même source signale que les organismes d’application de la loi et les autorités chargées des enquêtes au pays sont [traduction] « dépassés par le niveau de criminalité au Mexique, infiltrés par des criminels et gangrénés par la corruption et l’ingérence politique, malgré des décennies d’efforts pour réformer le système » (Felbab-Brown 2023-07-19).
Au cours d’un entretien avec la Direction des recherches, un professeur-chercheur au Centre de recherche et d’études supérieures en anthropologie sociale (Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social – CIESAS) à Mexico, dont les recherches portent sur les organisations mexicaines de trafic de stupéfiants, a déclaré que, selon le gouvernement [López Obrador], [traduction] « il n’y a plus de corruption », mais, d’après le professeur-chercheur, il s’agit là d’un « discours visant à infléchir l’opinion publique en faveur » du gouvernement, car il n’y a aucune preuve tangible portant à croire que des changements concrets ont été apportés dans la lutte contre la corruption (professeur-chercheur 2024-08-15).
D’après le BTI 2024, sous Andrés Manuel López Obrador, le gouvernement priorisait la lutte contre la corruption, mais [traduction] « les résultats à ce jour sont peu convaincants, sinon contradictoires », et « de nombreux cas de corruption aux échelons inférieurs, y compris dans l’armée, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite » (Bertelsmann Stiftung 2024, 12).
Selon l’indice de criminalité pour le Mexique de 2023 établi par la GI-TOC, le gouvernement [López Obrador] a fait campagne contre la corruption pendant les élections, [traduction] « mais a depuis consolidé le pouvoir, réduisant de ce fait la transparence et la responsabilisation de l’État »; en outre, d’après la GI-TOC, la criminalité et l’impunité « persistent », malgré l’existence de lois et de politiques visant à dissuader la corruption (2023, 6). La même source ajoute qu’il y a [traduction] « [d]es inquiétudes » « en matière de corruption et d’indépendance, compte tenu du contrôle des activités portuaires et douanières par l’armée » (GI-TOC 2023, 6). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d’autres renseignements allant dans le même sens.
Selon le rapport de Human Rights Watch, le programme du gouvernement fédéral qui fournit des gardes du corps et des boutons de panique aux journalistes et aux défenseurs des droits de la personne à risque souffre d’un [traduction] « manque » de ressources et de coordination entre les responsables étatiques et locaux; de plus, 8 journalistes et 2 défenseurs des droits de la personne ont été « tués alors qu’ils étaient sous la protection du programme » (2024-01-11, 426).
4. Protection offerte par l’État
4.1 Mécanismes de signalement de la corruption
Selon le professeur-chercheur, bien qu’il y ait des mécanismes pour signaler la corruption au sein des unités policières, [traduction] « il est peu probable que les gens se sentent à l’aise de signaler et de dénoncer les inconduites », puisqu’il existe un risque que les lignes téléphoniques de la police soient sous écoute ou que l’information soit partagée, en particulier si c’est la police elle-même qui se livre à des actes de corruption (2024-08-15). Le professeur-chercheur a ajouté que les mesures de signalement sont [traduction] « peu susceptibles de s’avérer utiles » ou « [d’]aider les lanceurs d’alerte »; elles ont « plutôt pour but de montrer au public que des institutions existent, mais leur efficacité pour ce qui est de lutter contre la corruption ou de l’exposer reste à démontrer » (2024-08-15).
Selon le BTI 2024, le Secrétariat de la fonction publique (Secretaría de la Función Pública – SFP) et l’Unité du renseignement financier (Unidad de Inteligencia Financiera – UIF) sont les [traduction] « principaux organismes de lutte contre la corruption » du pays, tous deux étant « liés au gouvernement », tandis que l’Institut fédéral d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (Instituto Nacional de Acceso a la Información y Protección de Datos Personales – INAI) est le « seul » organisme indépendant (Bertelsmann Stiftung 2024, 35). Cependant, d’après le BTI 2024, Andrés Manuel López Obrador a opposé son veto à la nomination de 2 commissaires de l’INAI élus par le Sénat, invoquant des coûts élevés, de sorte qu’il ne restait que 4 commissaires, ce qui contrevient à la loi fédérale, selon laquelle [traduction] « il doit y avoir 7 commissaires, dont au moins 5 doivent être présents lors des séances » (Bertelsmann Stiftung 2024, 35).
Au cours d’un entretien avec la Direction des recherches, un professeur émérite de sciences politiques à l’Université d’État du Centre du Tennessee, dont les travaux de recherche sont axés sur la corruption en Amérique latine, y compris au Mexique, a déclaré que l’armée a [traduction] « acquis une grande autonomie, assure sa propre supervision [et] s’est dotée de son propre système de justice pénale »; le professeur émérite a expliqué que le Secrétariat de la fonction publique, l’organisme de lutte contre la corruption du pays, « ne s’occupe pas de l’armée » (professeur émérite 2024-08-16). La même source a dit que l’armée est [traduction] « moins transparente » que la police, l’information étant étroitement contrôlée par les responsables gouvernementaux, qui invoquent des préoccupations en matière de sécurité nationale et d’autres obstacles à la transparence; ce manque de transparence jumelé à la portée grandissante de l’armée peut créer des « occasions de corruption », comme en témoigne l’implication de l’armée dans le système bancaire, les chemins de fer, les aéroports et les douanes (professeur émérite 2024-08-16). Selon la même source, les gens déposent bel et bien des plaintes auprès des organismes de lutte contre la corruption : [traduction] « un très grand nombre de bureaucrates » fédéraux sont sanctionnés pour corruption et abus de pouvoir pour des infractions « souvent mineures », comme une inconduite administrative, et reçoivent « une tape sur les doigts » (professeur émérite 2024-08-16). Toutefois, la source a ajouté qu’il en va autrement des gens qui pourraient témoigner de liens entre la police et le crime organisé et que [traduction] « dénoncer une organisation de trafic de stupéfiants est une tout autre chose; c’est très dangereux » (professeur émérite 2024-08-16).
Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l’aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n’apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d’une demande d’asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d’information.
Références
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Autres sources consultées
Source orale : professeur adjoint de criminologie dans une université canadienne spécialiste du crime organisé au Mexique.
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