Réponses aux demandes d'information

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26 novembre 2021

TUR200820.EF

Turquie : information sur la foi alévie, y compris ses principes, ses croyances, ses traditions et ses pratiques rituelles (2019–novembre 2021)

Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada

1. Aperçu

Des sources signalent qu'on estime que le nombre de personnes qui se disent de confession alévie en Turquie se situe entre 10 et 25 millions (É.-U. avr. 2019; Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.12). D’après des sources, les alévis constituent la plus importante minorité religieuse en Turquie (MRG juin 2018; É.-U. avr. 2019). Des sources font observer que le gouvernement de la Turquie classe les alévis parmi les musulmans et ne les reconnaît pas comme formant un groupe distinct des musulmans sunnites, qui représentent la majorité de la population turque (É.-U. avr. 2019; Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.12). Dans son rapport sur la Turquie, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce (Department of Foreign Affairs and Trade – DFAT) de l’Australie définit l’alévisme (Alevilik) comme étant [traduction] « une branche hétérodoxe de l’islam qui est apparue au moyen âge et qui intègre des traditions chiites, soufies, sunnites et locales » (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.20). D’après Minority Rights Group International (MRG), le mot [traduction] « alévi » est « le terme utilisé pour désigner un grand nombre de communautés musulmanes chiites hétérodoxes ayant des caractéristiques différentes »; les alévis « suivent une interprétation fondamentalement différente de celle suivie par les communautés chiites dans d’autres pays » et ils « se distinguent nettement » des sunnites (MRG juin 2018). Un article d’Al Jazeera attire l’attention sur le fait que, [traduction] « [c]omme les musulmans sunnites et chiites, les alévis vénèrent Ali, le gendre du prophète Mahomet » — le mot « alévi » vient d’ailleurs de « Ali » —, mais ils ne se voient pas comme appartenant aux traditions religieuses sunnites et chiites (Al Jazeera 18 déc. 2014). Dans un article publié dans le Journal of the Anthropological Society of Oxford [1], Cristina Cusenza, une étudiante de cycle supérieur en anthropologie sociale à l’Université d’Oxford, signale que Hacı Bektaş Veli [Haji Bektach Veli] est le fondateur du bektachisme-alévisme (Alevi-Bektaşi) [2], une philosophie spirituelle (Cusenza 2016, 295). D’après l’UNESCO, l’ordre bektachi alévi est un système de croyances [version française des Nations Unies] « fondé sur l’admiration d’Ali, quatrième calife à la suite du prophète Mohammed » (Nations Unies [2010]). La Fédération alévie de Grande-Bretagne (British Alevi Federation, Britanya Alevi Federasyonu) souligne [traduction] « [qu’]Ali représente l’honnêteté, l’égalité, la générosité et la connaissance spirituelle » (Britanya Alevi Federasyonu s.d.). Selon la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale (US Commission on International Religious Freedom – USCIRF), [traduction] « certains alévis déclarent faire partie d’une culture non musulmane à caractère unique » (É.-U. avr. 2019). Dans le rapport du DFAT de l’Australie, il est signalé que [traduction] « la plupart » des alévis perçoivent leurs croyances comme formant une religion distincte, mais « certains » se disent chiites ou sunnites ou perçoivent leur identité alévie comme étant « principalement […] culturelle plutôt que religieuse » (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.20). De même, un article du New York Times attire l’attention sur le fait que, [traduction] « [p]our certains membres, l’alévisme est simplement une identité culturelle, et non un culte religieux » (The New York Times 22 juill. 2017).

Selon un article d’Ahmet Kerim Gültekin, un chercheur affilié à l’Université de Leipzig, l’alévisme [traduction] « englobe des communautés ethnoreligieuses hétérogènes qui s’étendent sur une vaste région géographique » et « fait renvoi à divers contextes sociaux, politiques, historiques et religieux » (Gültekin 2019, 7). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un professeur émérite à l’Université d’Utrecht a déclaré que l’alévisme [traduction] « n’est pas homogène » et « [qu’]il n’y a pas d’ensemble de croyances généralement accepté », en ajoutant que « de nombreux alévis peuvent en fait nier que l’alévisme est une religion, et les alévis qui pratiquent certains des rituels caractéristiques représentent probablement une minorité parmi eux » (professeur émérite 2 nov. 2021). Ahmet Kerim Gültekin ajoute que les alévis [traduction] « parlent des langues différentes, ont des antécédents historiques variés, appartiennent à divers groupes ethniques et se réclament de citoyennetés différentes », qu’ils « ont des coutumes religieuses diverses » et vivent dans des régions géographiques différentes, même si « la plupart » d’entre eux vivent en Turquie (Gültekin 2019, 6–7). D’après MRG, [traduction] « la vaste majorité » des alévis sont « probablement » d’origine kizilbach [qizilbach] ou bektachie; les kizilbach « vivent principalement en milieu rural et acquièrent leur identité par filiation », tandis que les bektachis « vivent principalement en milieu urbain et soutiennent que l’adhésion est ouverte à tout musulman » (MRG juin 2018). Dans son rapport, le DFAT de l’Australie fait observer que les alévis vivent partout en Turquie, avec une concentration [traduction] « dans l’Anatolie centrale et l’Anatolie intérieure orientale », ainsi qu’à Istanbul et dans « d’autres grandes villes »; de plus, « Tunceli est le centre de la foi alévie », les alévis formant 95 p. 100 de sa population (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.19). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un professeur adjoint dans une université turque dont les recherches portent principalement sur l’alévisme contemporain a signalé qu’il y a quatre principaux sous-groupes d’alévis :

  • les alévis turcophones, [traduction] « principalement » dans l’ouest et le nord-ouest de la Turquie;
  • les alévis kurdophones, dans le centre et le sud-est de la Turquie;
  • les alévis de langue zazaki, « à différents endroits » de la province de Tunceli dans la « région aux particularismes culturels » de Dersim;
  • les alévis arabophones, le long de la frontière syrienne (professeur adjoint 2017) [3].

Le rapport du DFAT de l’Australie souligne que [traduction] « [d]e nombreux » alévis sont également Kurdes (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.19). Ahmet Kerim Gültekin affirme que [traduction] « les alévis kurdes vivent dans plusieurs provinces de l’Est de la Turquie », ainsi que dans l’Anatolie centrale et occidentale, Tunceli dans l’Anatolie orientale étant « la seule […] province majoritairement alévie en Turquie » (Gültekin 2019, 9).

D’après MRG, [traduction] « [s]ur le plan politique, les alévis kurdes se sont trouvés devant un dilemme, à savoir s’ils devraient accorder leur loyauté première à leur communauté ethnique ou religieuse » (MRG juin 2018). Selon David Shankland, un anthropologue dont les recherches portent principalement sur la Turquie et les alévis (University of Bristol s.d.), même si l’identité alévie est censément [traduction] « très forte », à tel point qu’elle peut parfois « abolir les différences ethniques », les alévis « ont adopté une conception laïque de la société et de l’identité » (Shankland 2003, 18). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé de renseignements additionnels.

2. Croyances

Le Centre culturel alévi du Canada (Canadian Alevi Culture Center – CACC; Kanada Alevi Kültür Merkezi – KAKM) donne la définition suivante de l’alévisme : [traduction] « un mode de vie et un système de croyances universelles fondés sur la conviction fondamentale que tous les êtres humains, compte non tenu de leur religion, leur appartenance ethnique, leur race ou leur genre, font partie de Dieu et que chacun porte en lui-même un étincelle de la beauté de Dieu, et qu'ils méritent donc d'être respectés et aimés » (CACC s.d.a). D’après l’Institut de culture bektachie-alévie (Alevi Bektasi Kültür Enstitüsü), l’alévisme ne fait pas de [traduction] « discrimin[ation] » sur la base « du genre, de la race, de la nationalité [ou] de la foi » et prône « la tolérance, l’égalité et le partage » (Alevi Bektasi Kültür Enstitüsü s.d.). Selon la Fédération alévie de Grande-Bretagne, les principales caractéristiques de l’alévisme sont les suivantes :

[traduction]

  • Dans l’alévisme, chaque être humain porte en lui l’essence de (Dieu).
  • Dans l’alévisme, Dieu est Hakk, c’est-à-dire « la vérité ».
  • Si Dieu a tout créé, alors les êtres humains sont sacrés dans l’univers.
  • Par conséquent, les alévis considèrent que toutes les choses sont sacrées et portent en elles une essence de Dieu.
  • Les alévis se désignent les uns les autres sous le nom de « Can » (âme), qui est de genre neutre. Ainsi, la position des femmes est égale à celle des hommes dans l’alévisme.
  • Aux yeux des alévis, Hakk (Dieu), l’univers et l’humanité [sont] dans un état d’unité totale (Britanya Alevi Federasyonu s.d., italiques ajoutés).

D’après le CACC, les principales caractéristiques de l’alévisme sont les suivantes :

[traduction]

  • En raison de son interprétation de la notion de l’humanité et de Dieu, l’alévisme se distingue nettement des autres grandes religions (l’islam, le christianisme et le judaïsme).
  • Le but de la foi alévie est de retourner vers la Vérité en menant une vie qui est digne de la beauté divine que nous recevons de Dieu et en démontrant que nous avons préservé ces valeurs.
  • Le vol, la corruption et l’adultère sont strictement interdits et la sanction pour ces infractions est l’exclusion de la société.
  • Les hommes et les femmes sont incontestablement égaux. Les femmes ne peuvent pas faire l’objet d’un traitement différent ou comme des citoyens de deuxième ordre dans les rituels religieux ou la vie quotidienne.
  • Certaines notions comme le cem [cérémonie religieuse], le dede [grand-père ou chef spirituel], le rehber [guide spirituel], le musahip [compagnon spirituel], le talip [ chercheur spirituel], la célébration du culte accompagnée de musique (saz [instrument à corde traditionnel]) et de danse (semah [tournoiement]) sont propres à l’alévisme.
  • Étant donné que chaque moment de la vie est une vénération, il n’est pas nécessaire de célébrer le culte de manière formaliste (CACC s.d.a).

Selon le CACC, il y a diverses interprétations de l’alévisme, y compris l’islam anatolien dirigé par la Cem Foundation, que le CACC décrit comme étant [traduction] « un enseignement religieux profondément imbriqué dans l’islam mais aussi ancré dans des croyances anatoliennes; il met l’accent sur les valeurs humanitaires et se distingue des autres sectes islamiques en raison de l’importance extrême accordée au dernier grand calife, Hazrat Ali [Ali ibn Abi Talib] » (CACC s.d.b). David Shankland décrit la conception Ehli-beyt yolu de l’alévisme ainsi :

[traduction]

[A]u lieu de rejeter les liens avec l’Iran qui s’inscrivaient autrefois dans l’histoire alévie, [le mouvement] se réjouit de ces liens et en a établi de nouveaux avec l’État iranien moderne. Au lieu de suivre les dedes locaux traditionnels, [les membres du mouvement Ehli-beyt yolu] se considèrent comme étant liés aux chefs spirituels venus d’Iran. De ces chefs spirituels, ils apprennent une forme de chiisme qui insiste sur la nécessité de voiler les femmes, sur la séparation des hommes et des femmes pendant la célébration du culte, et sur l’importance de la charia (şeriat). Au lieu de rejeter les mosquées, ce mouvement, qui est connu sous le nom « [d']Ehli-beyt yolu », semble créer ou bâtir des mosquées chiites qui servent de centres d’activité religieuse d’une manière qui est inhabituelle dans les villages alévis. Le mouvement est actif en Allemagne, particulièrement à Berlin, mais il exerce apparemment une influence dans la communauté alévie en Turquie dans les régions urbaines de Çorum, une province à l’Est d’Ankara (Shankland 2003, 169, en italique dans l’original).

Le CACC fait remarquer que la conception de l’alévisme prônée par l’Ehlibeyt Foundation est [traduction] « une version plus modérée du chiisme pratiqué en Iran », qui comporte « l'anoblissment de Hazrat [Hadrat] Ali, la révérence accordée aux 12 imams et à l'ahl al-bayt [la famille du prophète Mahomet], ainsi que de nombreuses autres facettes communes partagées avec le chiisme » (CACC s.d.b).

Le CACC signale que, suivant une autre interprétation, le but de l’alévisme [traduction] « est de vivre notre vie de manière à honorer la beauté divine dont nous sommes tous dotés et de revenir à la Vérité en prouvant que nous n'avons perdu aucune de ces valeurs » et que « [p]uisque Dieu a créé l’univers pour que la beauté de sa création soit connue et révérée, le véritable sens du culte est donc de servir, d'aimer et de respecter les êtres humains qui ont été créés par Dieu pour le connaître et le révérer » (CACC s.d.b).

Selon David Shankland, le Buyruk, [traduction] « le texte sacré alévi », est évoqué par les dedes, qui « assimilent à leur façon les éléments qu’ils trouvent intéressants et les exposent dans le cadre de commentaires […] sur des chansons et des poèmes d’abord chantés par des troubadours »; il y a plusieurs éditions modernes du Buyruk et aucune version particulière n’est considérée comme étant définitive (Shankland 2003, 186, 99). La même source ajoute que [traduction] « le Buyruk propose aux villageois un schéma des rôles que divers gens devraient remplir, des traditions par lesquelles ils peuvent justifier leurs positions, ainsi que des rappels des divers rituels qu’ils peuvent accomplir », mais ne fixe pas d’ensemble de principes auxquels il faut se conformer; « ni les dedes ni leurs adeptes ne justifient leur conduite en faisant directement renvoi au Buyruk » (Shankland 2003, 103-104, 99–100).

D’après David Shankland, les alévis croient que la ruh (leur âme) est une partie d’Allah et que, à la mort d’une personne, la ruh retourne vers Allah; durant son passage sur la Terre, une personne peut atteindre sa ruh [traduction] « en faisant preuve de patience, en ne ripostant pas aux blessures infligées, en accomplissant le bien sans attendre de récompense en retour, en ne faisant de mal à personne, en étant courtois, pacifique et honnête dans ses relations quotidiennes, et en respectant les droits d’autrui » (Shankland 2003, 118).

Selon MRG, l’urbanisation [traduction] « a brisé » l’alévisme traditionnel, qui reposait sur la vie rurale, et ce changement a abouti au résultat que l’alévisme « s’identifie fortement à la gauche politique » (MRG juin 2018). Dans le rapport du DFAT de l’Australie, on peut lire que [traduction] « la plupart » des alévis prônent la séparation de la vie religieuse et de la vie politique (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.20).

3. Pratiques

D’après le rapport du DFAT de l’Australie, les alévis [traduction] « célèbrent leur culte dans un cemevi (salle de prière) » (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.20, en italique dans l’original). David Shankland souligne que les [traduction] « cem evis », ou « "maisons de cem" », servent de lieu de culte, mais aussi de « centres de publication, de discussion et de célébration de la culture alévie, où les discussions attirent les sceptiques autant que les dévots » (Shankland 2003, 169, en italique dans l’original). Au dire de Talha Köse, professeur agrégé de science politique à l’Université Ibn Haldun (Ibn Haldun University s.d.), les cemevis s’adaptent pour répondre [traduction] « aux besoins et à la vision de la vie » des alévis, si bien qu’il existe toute une gamme de cemevis : des « lieux de culte », mais aussi des « centres communautaires », et même des « institutions archaïques » ayant besoin d’une réforme (Köse oct. 2012, 581). Dans un article d’Al Jazeera, on cite les propos d’un dede selon lesquels il est [traduction] « recommandé » aux alévis de se rendre aux cemevis toutes les semaines, sans que cela soit obligatoire (Al Jazeera 18 déc. 2014).

La Fédération alévie de Grande-Bretagne décrit les formes suivantes de célébration du culte :

  • chanter les deyiş (hymnes) alévis durant les cems avec des zakirs (musiciens de cem);
  • exécuter le semah ([traduction] « tournoiement rituel » ou « ensemble de mouvements mystiques et esthétiques exécutés en harmonie rythmique ») pendant les cems, avec l’accompagnement de zakirs;
  • manger « un repas communautaire » appelé lokma, ou contribuer à sa préparation (Britanya Alevi Federasyonu s.d.).

Le professeur émérite a fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

[l]e rituel distinctif le plus important est le cem (djem), un rassemblement communautaire qui se termine par un repas de nourriture consacrée et durant lequel on chante ou récite de la poésie sacrée. Il peut également y avoir une danse symbolique (semah), à laquelle participent des hommes et des femmes. Le cem est dirigé par un spécialiste religieux désigné sous le nom de « dede », qui doit (dans la plupart des communautés alévies) appartenir à un petit nombre d’ocak, c’est-à-dire des familles de spécialistes religieux (professeur émérite 2 nov. 2021).

L’UNESCO décrit les semahs comme [version française des Nations Unies] « un ensemble de mouvements corporels mystiques et esthétiques exécutés en harmonie rythmique » et précise qu’ils « constituent l’un des douze grands services des rituels Cem » (Nations Unies [2010]). L’UNESCO ajoute que le semah est un rituel exécuté à la fois par des hommes et des femmes et qu’il en existe différentes formes dans les communautés alévies, chacune ayant [version française des Nations Unies] « des caractéristiques musicales et des structures rythmiques distinctes » (Nations Unies [2010]). Selon la même source, il y a deux formes de semahs : les içeri semahs qui sont exécutés seulement dans les cems et les dişari semahs qui visent à promouvoir la culture du semah aux jeunes générations; le semah est un moyen de transmettre les traditions alévies (Nations Unies [2010]).

La Fédération alévie de Grande-Bretagne fait observer que, même si les traditions diffèrent d’un endroit à un autre, les alévis ont [traduction] « habituellement » un musahip (« frère éternel de l’au-delà ») et sont censés adhérer à « certains principes moraux » (Britanya Alevi Federasyonu s.d.). D’après la Fédération alévie de Grande-Bretagne, une communauté tiendra un görgü cemi ([traduction] « rituel des bonnes mœurs ») pour évaluer si chaque membre de la communauté suit ces principes; toute transgression entraînera une sanction établie en fonction de sa gravité, allant de l’organisation d’un lokma à l’excommunication (Britanya Alevi Federasyonu s.d.).

Selon David Shankland, maris et femmes se rendent dans des sanctuaires en quête de santé et de fertilité et offrent ensemble un mouton béni en sacrifice (Shankland 2003, 95). La même source souligne aussi que, avant le mariage, les femmes dansent seules dans la maison de la promise et que, après le mariage, les femmes danseront avec les hommes (Shankland 2003, 95).

3.1 Pratiques dans les ménages

L’information présentée dans la section qui suit provient du livre de David Shankland sur les alévis en Turquie, paru en 2003:

La structure sociale des ménages alévis est [traduction] « similaire » à celle des ménages musulmans sunnites : les femmes renoncent « habituellement » à leur nom de jeune fille après le mariage, emménagent chez l’époux et ce dernier, prenant le relais du père de la mariée, prend en main peu à peu la vie de son épouse. Le chef du ménage est l’homme le plus âgé, et les femmes « se voient accorder du respect en fonction de leur âge, sont assujetties à la volonté des hommes et s’attendent à ce qu’on les traite ainsi ». Les femmes alévies sont responsables des tâches domestiques telles que le ménage, la cuisine, le jardinage et les soins aux enfants; toutefois, elles effectuent ces tâches dans le même espace que les hommes et il n’y a pas de ségrégation au moment de préparer la nourriture, de manger les repas ou de recevoir des invités alévis. Cependant, les hommes et les femmes sont séparés en public. Par exemple, dans les endroits publics, on dit aux femmes de se retirer si les hommes veulent discuter ou si un étranger est présent. De plus, les femmes ne doivent pas « traverser un espace ouvert » à moins d’être accompagnées par un homme, ni franchir une porte avant un homme (Shankland 2003, 95).

Les hommes alévis ne se servent pas de l’islam pour contrôler les femmes de façon aussi ouverte [que les musulmans sunnites]; ainsi, alors qu’un sunnite peut accuser une femme de günah, ou conduite pécheresse, si elle n’obéit pas à son mari ou ne porte pas le voile, les alévis utilisent ayip, un mot général qui renvoie à ce qui « ne se fait pas », à la transgression d’une règle précise mais sans connotations religieuses. Les alévis ont d’autres façons de traduire le contrôle exercé par les hommes sur les femmes : une femme ne doit pas se rendre dans les espaces publics d’un village, tout simplement parce qu’elle est une femme; les femmes sont égales aux hommes, mais juste un peu plus faibles; une femme ne doit pas croiser le chemin d’un homme parce que cela porte malheur à l’homme; l’honneur du ménage, namus, est détruit si elle est infidèle. Toutefois, aucune de ces règles n’est ancrée dans la pratique religieuse (Shankland 2003, 97, en italique dans l’original).

Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

4. Cérémonies et festivals

David Shankland signale que, à Susesi, [le village alévi où il a habité pour réaliser son étude (Shankland 2003, 25)], les [traduction] « plus importants rituels collectifs de la Tarikat [fraternité musulmane (Shankland 2003, x)] » sont le cem et le görgü (Shankland 2003, 121). Le görgü est un festival annuel qui se tient avant la saison des labours (Shankland 2003, 121). David Shankland souligne que le görgü est un rituel qui marque le nouvel an et que personne ne peut ensemencer ses champs avant sa tenue (Shankland 2003, 128). D’après David Shankland, les dedes des différents quartiers du village sont invités à présider le rituel, le [traduction] «doyen » étant invité à agir à titre de köy dedesi, ou dede de l’ensemble du village (Shankland 2003, 128). Selon la description de David Shankland,

[traduction]

[a]u cours de cette période de trois jours, un couple appartenant à chaque ménage du village s’avancera vers l’espace d’Ali pour répondre à la question de savoir s’il a ou non une dispute avec quiconque dans la salle.

[…]

Dans le village, une fois que la congrégation s’est réunie dans une maison convenable, le görgü s’amorce avec une halkacık namazı [« prière collective » (Shankland 2003, 120)]. Ensuite, au lieu d’offrir un sacrifice (comme on le ferait dans un cem), les couples avancent vers le meydan [« espace rituel au centre de la congrégation » (Shankland 2003, 189)].

[…]

Lorsque l’existence et les circonstances d’une dispute ont été dévoilées, le dede suggère une réconciliation selon que les parties impliquées se sont manifesté le degré de respect approprié (un jeune homme doit respecter un homme plus âgé, une femme doit respecter son mari), ou ont bafoué les droits de l’autre partie (hakki yemek). La congrégation doit ensuite souscrire à la décision, sans quoi cette dernière n’est pas valide. Les suggestions du dede sont complétées par un « comité du görgü », görgü heyeti, qui est présidé par le dede. Les autres membres du comité ne sont pas nécessairement des dedes, mais doivent être des hommes respectés du village (Shankland 2003, 128-130, en italique dans l’original).

En décrivant un cem, David Shankman fait observer que l’objectif consiste [traduction] « à vénérer, à se rapprocher de Dieu par la prière pacifique et collective, mais aussi à commémorer l’allégeance des alévis à Hacı Bektas et aux douze imams au moyen d’un ensemble de rituels qu’ils désignent sous le nom des "douze devoirs", oniki hizmet » (Shankland 2003, 121, en italique dans l’original). La cérémonie, qui n’a pas de durée établie, peut prendre jusqu’à cinq heures (Shankland 2003, 121). Même s’il n’y a pas de limite au nombre de cérémonies cem, aucune ne peut avoir lieu avant le görgü ou après l’Hıdrellez le 6 mai (Shankland 2003, 121).

D’après un article du Hurriyet Daily News, un journal turc de diffusion nationale, l’Hıdrellez est un festival printanier traditionnel qui [traduction] « marque le seul moment de l’année où Hızır (ou Khıdır), qui symbolise la terre et la végétation, rencontre İlyas (Elijah), qui est associé à la mer et à l’eau » (Hurriyet Daily News 6 mai 2019). Selon l’UNESCO, l’Hıdrellez est célébré tous les ans le 6 mai et comporte des cérémonies et des rituels locaux, régionaux et nationaux qui attirent une [version française des Nations Unies] « participation massive » (Nations Unies 2017).

Selon David Shankland, les alévis croient que, à son décès, une personne est envoyée par Allah au paradis ou en enfer [traduction] « selon sa conduite ici-bas », mais que la décision d’Allah peut être influencée par la sefaat (intercession) au nom du défunt, au cours d’un service connu sous le nom de dar çekme (Shankland 2003, 113). David Shankland signale que ce service, qui a lieu trois jours après le décès au moment où le défunt est censé se tenir devant Allah pour recevoir son jugement, inclut un can ekmegi (sacrifice) (Shankland 2003, 113). David Shankland ajoute que le can ekmegi [traduction] « symbolise "de la nourriture (ou du pain) pour l’esprit du défunt" » et peut être tenu à tout moment où les proches souhaitent commémorer le défunt; il comporte la préparation d’un sacrifice accompagné d’un repas et des représentants de tous les ménages du village assistent au repas, où le dede prononce une prière (Shankland 2003, 115).

Le DFAT de l’Australie signale que les alévis sont [traduction] « généralement » en mesure de tenir leurs cérémonies et festivals sans ingérence « officielle » (Australie 10 sept. 2020, paragr. 3.20).

5. Sunnisme et alévisme

Selon des sources, une des différences entre les sunnites et les alévis est que les alévis ne vont pas dans des mosquées pour prier (The New York Times 22 juill. 2017; MRG juin 2018; DW 26 janv. 2020). D’autres sources signalent que, contrairement à la foi sunnite, l’alévisme permet aux hommes et aux femmes de prier ensemble (BBC 12 avr. 2002; Forbes 10 févr. 2017; The New York Times 22 juill. 2017). Des sources font aussi observer que les alévis ne jeûnent pas pendant le ramadan (BBC 12 avr. 2002; Forbes 10 févr. 2017; MRG juin 2018), mais plutôt pendant le moharram (Forbes 10 févr. 2017; MRG juin 2018). La BBC signale une autre différence : les alévis n’accomplissent pas le rituel des ablutions avant la prière (BBC 12 avr. 2002). D’après des sources, les alévis ne sont pas tenus de prier cinq fois par jour (The New York Times 22 juill. 2017; Kosnick sept. 2004). Des sources font aussi remarquer que l’alévisme permet la consommation d’alcool (Al Jazeera 18 déc. 2014; Kosnick sept. 2004) et de porc (Kosnick sept. 2004).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Notes

[1] Le Journal of the Anthropological Society of Oxford (JASO) est une revue à comité de lecture qui est publiée par la Société d’anthropologie (Anthropology Society) et l’École d’anthropologie et d’ethnographie de musée (School of Anthropology and Museum Ethnography) de l’Université d’Oxford (University of Oxford s.d.).

[2] D’après un article sur les alévis et la politique publié dans Nationalities Papers, une revue à comité de lecture qui est consacrée au nationalisme et à l’ethnicité (Cambridge Core s.d.), l’alévisme est une appartenance ethnoreligieuse, tandis que le bektachisme est un ordre religieux (Arkilic et Gürcan juill. 2020, 6). Toutefois, la même source ajoute que les termes [traduction] « sont parfois utilisés de façon interchangeable » parce qu’il s’agit de « système[s] de croyances similaires » (Arkilic et Gürcan juill. 2020, 6).

[3] Le professeur adjoint a confirmé dans une communication écrite récente que [traduction] « rien n’a changé » en ce qui concerne les renseignements fournis en 2017 (professeur adjoint 2 nov. 2021).

Références

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Arkilic, Ayca et Ayşe Ezgi Gürcan. Juillet 2020. « The Political Participation of Alevis: A Comparative Analysis of the Turkish Alevi Opening and the German Islam Conference ». Nationalities Papers. Vol. 49, no 5. [Date de consultation : 22 nov. 2021]

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Canadian Alevi Culture Center (CACC). S.d.a. « Alevilik ». Extraits traduits par le Bureau de la traduction, Services publics et Approvisionnement Canada. [Date de consultation : 28 oct. 2021]

Canadian Alevi Culture Center (CACC). S.d.b. « Alevilik nedir ? ». Extraits traduits par le Bureau de la traduction, Services publics et Approvisionnement Canada. [Date de consultation : 28 oct. 2021]

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Deutsche Welle (DW). 26 janvier 2020. Tunca Ögreten. « The Alevis' Fight for Recognition in Turkey ». [Date de consultation : 29 oct. 2021]

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Gültekin, Ahmet Kerim. 2019. « Kurdish Alevism: Creating New Ways of Practicing the Religion ». Multiple Secularities - Beyond the West, Beyond Modernities. Working Paper no 18. [Date de consultation : 29 oct. 2021]

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Kosnick, Kira. Septembre 2004. « 'Speaking in One's Own Voice': Representational Strategies of Alevi Turkish Migrants on Open-Access Television in Berlin ». Journal of Ethnic and Migration Studies. Vol. 30, no 5. [Date de consultation : 4 nov. 2021]

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Nations Unies. [2010]. Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). « Semah, Alevi-Bektaşi Ritual ». [Date de consultation : 29 oct. 2021]

The New York Times. 22 juillet 2017. Patrick Kingsley. « Turkey’s Alevis, a Muslim Minority, Fear a Policy of Denying Their Existence ». [Date de consultation : 1er nov. 2021]

Professeur adjoint, université turque. 2 novembre 2021. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Professeur adjoint, université turque. 2017. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Professeur émérite, Utrecht University. 2 novembre 2021. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Shankland, David. 2003. The Alevis in Turkey: The Emergence of a Secular Islamic Tradition. London: Routledge. [Date de consultation : 5 nov. 2021]

University of Bristol. S.d. « Directory of Experts ». [Date de consultation : 4 nov. 2021]

University of Oxford. S.d. « Journal of the Anthropological Society of Oxford ». [Date de consultation : 23 nov. 2021]

Autres sources consultées

Sources orales : Britanya Alevi Federasyonu; Kanada Alevi Kültür Merkezi; professeur dans une université allemande spécialiste de la communauté turco-musulmane; professeur dans une université du Royaume-Uni dont les recherches portent sur les réfugiés et les populations vulnérables, y compris les alévis.

Sites Internet, y compris : Alevi Bektaşi Federasyonu; Alevi Federation Germany; Amnesty International; Asylum Research Centre; Austrian Red Cross – Austrian Centre for Country of Origin & Asylum Research and Documentation; Belgique – Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides; Bertelsmann Stiftung; Christian Solidarity Worldwide; Danemark – Danish Immigration Service; ecoi.net; États-Unis – CIA, Department of State, Library of Congress; European Journal of Turkish Studies; Factiva; France – Office français de protection des réfugiés et apatrides; Freedom House; The Freedom of Belief Initiative; Human Rights Watch; The Independent; International Association for Human Rights Advocacy Geneva; Journal of Ethnic and Migration Studies; Nations Unies – Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Refworld; The New Humanitarian; Norvège – Landinfo; Organisation suisse d’aide aux réfugiés; Pays-Bas – Ministry of Foreign Affairs; Romanian National Council for Refugees; Royaume-Uni – Home Office; Sage Journals; Studies in Oriental Religions; Swedish Research Institute in Istanbul; Taylor & Francis Online; Turkey's Alevi Enigma: A Comprehensive Overview; Union européenne – European Asylum Support Office; Veli University; The Washington Institute for Near East Policy.



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