Réponses aux demandes d'information

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30 novembre 2018

TUR106206.EF

Turquie : information sur la situation des alévis, y compris sur leurs droits politiques et religieux; le traitement que réservent la société et les autorités aux alévis; la protection offerte par l’État (2015-novembre 2018)

Direction des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa

1. Aperçu

Selon des sources, les alévis forment le deuxième groupe religieux en importance en Turquie, après les musulmans sunnites (Dudek 10 févr. 2017; DW 26 avr. 2016; MRG juin 2018). D’après le radiodiffuseur public international de l’Allemagne Deutsche Welle (DW), il y a de 8 à 15 millions d’alévis en Turquie, sur une population totale de 77 millions d’habitants (DW 26 avr. 2016). D’autres sources estiment que la population alévie représente de 15 à 25 p. 100 de la population totale de la Turquie (Reuters 27 avr. 2018; Dudek 10 févr. 2017; Foreign Affairs 5 janv. 2017; RLP s.d.).

Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, Howard Eissenstat, professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université de St. Lawrence et chercheur principal non résident au Projet sur la démocratie au Moyen-Orient (Project on Middle East Democracy – POMED) [1], a déclaré que

[traduction]

[l’]identité alévie, religieuse et culturelle, est endogène – comme la judéité, il s’agit d’une identité acquise à la naissance. Par conséquent, il n’est pas possible de se convertir et de devenir alévi. Il est possible d’être à la fois alévi et kurde. De plus, il y a des groupes apparentés, tels que les bektachis et les nusayris, qui sont historiquement distincts, mais qui se sont rapprochés culturellement au cours des dernières décennies. [Il y a également un] groupe de Kurdes alévis, appelés les zazas, qui ont une langue distincte (Eissenstat 20 nov. 2018a).

Selon d’autres sources, les alévis peuvent être d’origine kurde ou d’origine turque (Foreign Affairs 5 janv. 2017; RLP s.d.; MEE 29 sept. 2016).

1.1 Droits religieux

D’après des sources, les alévis ne sont pas officiellement reconnus à titre de groupe religieux en Turquie (Eissenstat 20 nov. 2018a; boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018), mais plutôt comme un groupe culturel (Eissenstat 20 nov. 2018a). Au cours d’un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, Howard Eissenstat a dit que [traduction] « le culte alévi n’est pas considéré comme une pratique religieuse – il est considéré comme une pratique culturelle au sein d’un islam uni » (Eissenstat 20 nov. 2018b). Un article du New York Times fait valoir que [traduction] « [p]our certains [alévis], l’alévisme est tout simplement une identité culturelle, plutôt qu’un culte » (The New York Times 22 juill. 2017). Dans un article rédigé par Alev Dudek [2], on peut lire que [traduction] « certains alévis pensent qu’ils forment une branche de l’islam, tandis que d’autres [ne le pensent pas] » (Dudek 10 févr. 2017). D’autres sources décrivent l’alévisme comme une branche de l’islam chiite (MRG juin 2018; RLP s.d.), même si les alévis [traduction] « adhèrent à une interprétation fondamentalement différente de celle des communautés chiites d’autres pays » (MRG juin 2018).

Selon des sources, les différences entre les alévis et les sunnites comprennent les suivantes :

  • les alévis vénèrent Ali (Foreign Affairs 5 janv. 2017; Dudek 10 févr. 2017; RLP s.d.), le cousin et gendre du prophète Mahomet (Foreign Affairs 5 janv. 2017);
  • les alévis ne jeûnent pas durant le ramadan (MRG juin 2018; Dudek 10 févr. 2017; Foreign Affairs 5 janv. 2017), mais plutôt durant le du muharram (Dudek 10 févr. 2017; MRG juin 2018), un période de dix jours qui commémore le martyre de l’Imam Hossein (MRG juin 2018);
  • les alévis ne participent pas au pèlerinage à La Mecque (RLP s.d.);
  • les femmes alévies se couvrent rarement la tête, sauf dans une salle de prière (Foreign Affairs 5 janv. 2017);
  • alévis ne font pas la prière cinq fois par jour (RLP s.d.; The New York Times 22 juill. 2017);
  • le jour de culte des alévis est le jeudi, et non le vendredi (DW 26 avr. 2016);
  • il n’y pas de ségrégation des hommes et des femmes durant la célébration du culte alévi (Dudek 10 févr. 2017; The New York Times 22 juill. 2017);
  • le cule alévi comprend [traduction] « des chants et le semah, une forme de danse spirituelle, tandis que les sunnites célèbrent leur culte avec le rituel du namaz » (Dudek 10 févr. 2017);
  • les lieux de culte des alévis sont des cemevis [cem evi] (Dudek 10 févr. 2017; DW 26 avr. 2016; RLP s.d.), plutôt que les mosquées (RLP s.d.).

Pour de plus amples renseignements sur les principes et les origines religieuses historiques de la foi alévie, veuillez consulter les réponses aux demandes d’information TUR43515 d’avril 2005, TUR102821 de mai 2008, TUR104076 de juin 2012, et TUR104391 d’avril 2013.

D’après des sources, les enfants alévis en Turquie sont tenus de suivre des cours d’éducation religieuse sunnite (Eissenstat 20 nov. 2018b; boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018). Sans fournir de précisions additionnelles, des sources affirment que les enfants ne peuvent pas être exemptés de ces cours (boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018) ou qu’il est difficile d’être exempté de ces cours (Freedom House 2018; Eissenstat 20 nov. 2018a). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, le président de la Fondation des alévis-bektachis d’Amérique (Alevi-Bektashi Foundation of America) [3] a déclaré, sans fournir de précisions additionnelles, que [traduction] « les parents alévis ne peuvent obtenir une exemption pour leurs enfants qu’en saisissant la justice et en suivant […] le processus judiciaire » (Alevi-Bektashi Foundation of America 22 nov. 2018).

Selon des sources, les cemevis ne sont pas reconnus par l’État, contrairement aux mosquées, et ne reçoivent aucun soutien financier gouvernemental (Freedom House 2018; boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018; Dudek 10 févr. 2017). Howard Eissenstat a déclaré que, contrairement aux imams sunnites, les chefs religieux des cemevis ne sont pas rémunérés par l’État et que, contrairement aux mosquées sunnites, les cemevis doivent payer des taxes et les frais des services publics (Eissenstat 20 nov. 2018a). Minority Rights Group International (MRG) signale

[traduction]

[qu'e]n janvier 2018, un responsable alévi s'est plaint du fait que, dans le plus récent curriculum présenté par le ministère de l’Éducation, les cemevis n’étaient pas qualifiés de lieux de culte, mais plutôt d’édifices où se déroulent des activités culturelles (MRG juin 2018).

Au cours d’un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, un boursier de recherches postdoctorales à l’Université d’Oxford, spécialiste de la Turquie, a déclaré que les cemevis [traduction] « doivent souvent être construits illégalement » (boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018). Un article du New York Times souligne que

[traduction]

dans les endroits où les alévis ont réussi à bâtir des cemevis, l’État a souvent construit des mosquées tout près (à Osmancik, l’État a installé une mosquée à l’intérieur même du cemevi). Il s’ensuit que, même si l’État tolère l’alévisme à titre d’identité culturelle, il ne reconnaît que la mosquée sunnite comme lieu de culte islamique (The New York Times 22 juill. 2017).

Des sources rapportent qu'en 2016, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu que les alévis sont privés de leur droit à la liberté de religion (DW 26 avr. 2016; Hürriyet Daily News 26 avr. 2016). Selon ces sources, la CEDH a statué, par 12 voix sur 17, que le droit des alévis à la liberté de religion avait été enfreint; de plus, 16 des 17 juges ont conclu que les alévis sont victimes de discrimination (DW 26 avr. 2016; Hürriyet Daily News 26 avr. 2016). Deutsche Welle cite la CEDH, comme suit :

[version française de la CEDH]

« [l]a CEDH juge en particulier que ce refus des autorités s’analyse en une non-reconnaissance du caractère cultuel de la confession alévie et de ses pratiques religieuses (cem), privant de protection juridique les lieux (cemevi) et ministres (dede) du culte de cette communauté, et entraînant de nombreuses conséquences sur l’organisation, la poursuite et le financement de ses activités cultuelles » (DW 26 avr. 2016).

Dans le Hürriyet Daily News, un journal turc de langue anglaise, on peut lire que [traduction] « [à] la suite de ce verdict, la Turquie a été condamnée à verser 3 000 euros [environ 4 500 $CAN] en dommages-intérêts à chacun des 203 plaignants » (Hürriyet Daily News 26 avr. 2016).

1.2 Droits politiques

D’après Alev Dudek, il n’y a pas de députés alévis au parlement turc (Dudek 10 févr. 2017). Toutefois, d’autres signalent que les alévis bénéficient d’une représentation politique (Eissenstat 20 nov. 2018b; Freedom House 2018), [traduction] « en grande partie » par l’entremise du Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi – CHP) (Freedom House 2018). Howard Eissenstat a expliqué que le chef du principal parti d’opposition, le CHP, est alévi et [traduction] « [qu’]il n’est pas difficile pour un alévi ou un Kurde alévi d’atteindre un rang élevé au sein de l’opposition » (Eissenstat 20 nov. 2018b). Selon le boursier de recherches postdoctorales, [traduction] « il y a des alévis qui sont politiciens. Toutefois, leur plateforme politique ne repose pas sur leur identité alévie » (boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a trouvé aucune information sur l'existence de plateformes politiques alévies.

Des sources affirment que les alévis tendent à voter pour [des [traduction] « partis qui penchent vers la gauche tels que » (DW 26 avr. 2016)] le CHP (DW 26 avr. 2016; Eissenstat 20 nov. 2018b), [traduction] « mais pas toujours » (Eissenstat 20 nov. 2018b). Selon DW, le Parti démocratique des peuples (Halkların Demokratik Partisi – HDP) [traduction] « pro-kurde […] a recueilli un large appui des alévis » aux élections de 2015 (DW 26 avr. 2016). Selon Howard Eissenstat, [traduction] « il est très rare que [les alévis] votent pour le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi – AKP) » (Eissenstat 20 nov. 2018a). Sans fournir de précisions additionnelles, Freedom House déclare que les alévis [traduction] « se heurtent depuis longtemps à la discrimination politique » (Freedom House 2018). Au dire de Howard Eissenstat, [traduction] « en raison de la consolidation du pouvoir par l’AKP, ceux qui ne sont pas liés à l’AKP sont de plus en plus exclus de la sphère politique. L’AKP cherche à consolider sa mainmise sur l’État et la société » (Eissenstat 20 nov. 2018b). La même source a ensuite expliqué que

[traduction]

[s]ur le plan de la rhétorique politicienne, les affirmations anti-alévis évoquées par l’AKP permettent à ce dernier de mettre en valeur son propre caractère authentiquement sunnite. L’ouverture envers les alévis, entreprise en 2007, était une tentative avortée en vue de tendre la main aux électeurs alévis. Cette ouverture a été de courte durée et n’a pas donné grand-chose. De plus, elle est survenue dans un contexte politique très différent – maintenant, la Turquie n’est plus une démocratie électorale, mais un régime autoritaire électoral où il y a des élections, mais elles ne sont plus tenues librement et équitablement (Eissenstat 20 nov. 2018a).

2. Traitement réservé par la société

D’après les Country Reports on Human Rights Practices for 2017 publiés par le Département d’État des États-Unis, les alévis [traduction] « étaient encore la cible de discours haineux et d’actes de discrimination » en 2017 (É.-U. 20 avr. 2018, 59). Au dire de Howard Eissenstat,

[traduction]

[l]a plupart des alévis ne subissent pas d'actes de violence ou de discrimination ouverte quand ils vaquent à leurs activités quotidiennes en public. Toutefois, il y a eu des cas où des alévis ont été victimes d’agressions à caractère discriminatoire, y compris des graffitis sur leurs résidences et des actes occasionnels de violence. Les alévis se heurtent à la discrimination dans la pratique de leur religion, mais ne subissent pas de harcèlement quotidien. Une exception est faite si un alévi a protesté publiquement ou a fait une déclaration publique dénonçant la discrimination dont il fait l’objet. D’autres exceptions seraient faites dans les cas suivants : un alévi qui a emménagé dans un quartier majoritairement sunnite; une personne alévie qui [a épousé ou qui fréquente] une personne musulmane sunnite; ou un alévi qui affiche son identité alévie au moyen de symboles alévis sur des colliers ou avec des tatouages. De tels tatouages pourraient comprendre l’épée d’Ali, l’image d’Ali ou du texte en arabe vénérant Ali (Eissenstat 20 nov. 2018a).

Selon des sources, il y a des quartiers alévis partout en Turquie (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018; Eissenstat 20 nov. 2018). À la suite d'un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, , le boursier de recherches postdoctorales a affirmé dans une communication écrite que [traduction] « Tunceli est la seule province où la population est majoritairement alévie » (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018). Au dire de Howard Eissenstat,

[traduction]

[d]ans les quartiers alévis, il est possible d’exercer sa foi ouvertement et il est facile d’exprimer son identité culturelle. Il y a également des quartiers mixtes. La capacité à déménager dans un tel quartier et à y vivre à l’aise dépend des ressources financières disponibles et de la capacité à y avoir un emploi, notamment, en termes de proximité du lieu de travail ou de capacité à décrocher un emploi sur le marché du travail local. Si des alévis emménagent dans un quartier sunnite très pieux, il est probable qu’ils subiront de la discrimination de la part des habitants du quartier (Eissenstat 20 nov. 2018a).

D’après Freedom House, les alévis [traduction] « seraient victimes de discrimination dans le domaine de l’emploi, particulièrement pour ce qui est des postes supérieurs de la fonction publique » (Freedom House 2018). De même, le boursier de recherches postdoctorales a déclaré qu’il est [traduction] « difficile » pour les alévis d’obtenir un emploi dans la fonction publique et qu’ils doivent « cacher leur identité alévie une fois dans le milieu du travail ou durant leur recherche d’emploi » (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018). Cité dans le New York Times, Aziz Yagan, un universitaire dont les recherches portent sur le sujet, a déclaré que les alévis

[traduction]

ont dénoncé la discrimination dont ils faisaient l'objet dans le milieu du travail, particulièrement au sein des institutions de l'État. Peu d’alévis occupent des postes clés dans l’appareil étatique, tels que les postes de gouverneur ou de chef de police. Et même s’il n’y a pas de preuve concrète d’une politique officielle qui favoriserait ce parti pris, les alévis qui détiennent des postes de niveau inférieur dans la fonction publique soutiennent que le système est truqué en leur défaveur (The New York Times 22 juill. 2017).

Selon Howard Eissenstat,

[traduction]

[p]our ce qui est de l’accès à l’emploi, les alévis peuvent se heurter à de la discrimination puisque les employeurs peuvent se renseigner sur leur nom ou le quartier où ils ont grandi. Il y a des noms typiquement alévis comme Ali, Hussein, Hassan ou diverses versions d’Aslan, même si ces noms peuvent également être portés par des sunnites. Les employeurs peuvent aussi poser des questions sur les pratiques religieuses d’une personne ou tenter d’établir si cette dernière est alévi en se renseignant sur son quartier ou sa ville d'origine. Dans bon nombre d’entreprises et de bureaux gouvernementaux, encourager la participation à la prière du vendredi est devenu la norme. Celui qui signale qu’il n’est pas disposé à y participer risque de miner sa situation et ses chances d’obtenir de l’avancement ou de conserver son emploi. Au fur et à mesure que l’AKP a consolidé sa mainmise sur le pays, des emplois ont été créés pour la base de soutien du parti, tant dans la fonction publique qu’au sein de grandes entreprises. Les bureaux gouvernementaux et les entreprises alliées donnent la préférence à l’embauche et à l’avancement professionnel de gens perçus comme provenant de la base de l’AKP. Les alévis qui tentent de décrocher de tels emplois sont nettement désavantagés (Eissenstat 20 nov. 2018a).

2.1 Incidents

Au dire du boursier de recherches postdoctorales,

[traduction]

[i]l n’y a pas de données statistiques ou de signalements réguliers concernant les atteintes ou les actes de discrimination commis à l’encontre des alévis. Toutefois, il y a une nette détérioration des droits de la personne en Turquie depuis quelques années, signalée par des organisations internationales de défense des droits de la personne, et des organismes alévis ont également dénoncé la discrimination et la violence accrues envers les alévis (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018).

La même source affirme que, entre 2015 et novembre 2018, [traduction] « il n’y a pas eu d’agression de grande envergure ciblant les alévis » (boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018). De même, d’après le New York Times, sous le président Erdogan, [traduction] « il n’y a pas eu de violence sectaire de masse à l’encontre des alévis » (The New York Times 22 juill. 2017).

Des sources signalent les incidents suivants :

  • selon les Country Reports 2017 des États-Unis, en septembre 2017, après une cérémonie dans un cemevi, plus d’une douzaine de personnes ont tenté de bloquer l’enterrement de la mère d’un [traduction] « alévi d’origine kurde, autrefois député parlementaire du HDP », et avaient agressé les proches endeuillés (É.-U. 20 avr. 2018, 59). Selon la même source, [traduction] « [l]a police a mis fin à l’agression et le ministre de l’Intérieur est intervenu pour que l’enterrement ait lieu » (É.-U. 20 avr. 2018, 59);
  • la porte de la résidence d’une famille alévie dans le district de Bahçelievler de la province d’Istanbul a été marquée d’une croix rouge et des messages [traduction] « "Partez, païens" » et « "Islam" » en novembre 2017 (SCF 1er déc. 2017);
  • en novembre 2017, un cemevi à Istanbul a été attaqué [par [traduction] « [d]es agresseurs inconnus » (Hürriyet Daily News 10 nov. 2017)] qui ont aussi tenté d’incendier l’édifice (Hürriyet Daily News 10 nov. 2017; MRG juin 2018). Selon le Hürriyet Daily News, [traduction] « [l]a police a engagé des efforts en vue d’arrêter les responsables de cette attaque » (Hürriyet Daily News 10 nov. 2017);
  • des croix [ou des X] rouges ont été peintes sur les résidences de 13 familles alévies dans le quartier Cemal Gürsel à Malatya (Hürriyet Daily News 23 nov. 2017; Turkey Purge 23 nov. 2017; Al-Monitor 28 nov. 2017) le 22 novembre 2017 (Hürriyet Daily News 23 nov. 2017).

3. Traitement réservé par les autorités

Cité dans le New York Times, le dirigeant de la Fédération européenne des alévis (European Alevi Federation) a déclaré que le gouvernement turc [traduction] « "n’accepte pas l’alévisme comme une foi légitime" » (The New York Times 22 juill. 2017). Au dire du boursier de recherches postdoctorales,

[traduction]

[l]a situation des alévis s’est détériorée [depuis] la tentative de coup d’État en 2016. Pendant et après le coup d’État de 2016, les médias progouvernementaux ont laissé entendre que les gülenistes se serviraient des alévis pour provoquer des conflits, [même si] les gülenistes et l’AKP partagent les mêmes représentations négatives des alévis et avaient collaboré précédemment à la mise en place de politiques défavorables à la communauté. Depuis la tentative de coup d’État de 2016, les mesures de répression à l’endroit de la communauté alévie se sont intensifiées. Les autorités ont arrêté des alévis et ciblé des organisations, notamment en fermant des médias alévis.

Au moyen d’un décret présidentiel, l’État a fermé des médias alévis (p. ex., Yol TV). Les autorités étatiques arrêtent des militants de manière aléatoire et arbitraire, y compris des militants alévis et des membres d’organisations alévies (telles que l’Association culturelle Pir Sultan Abdal [Pir Sultan Abdal Kültür Derneği]). Ces militants n’étaient pas mêlés à des activités illégales ou violentes. On ne sait pas pendant combien de temps ces militants restent détenus ou emprisonnés.

Depuis les manifestations de Gezi en 2013, les interventions des forces de sécurité ciblant les quartiers alévis sont plus nombreuses, incluant des fusillades et des assassinats aléatoires d’alévis (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018).

De même, Al Jazeera signale que [traduction] « le quartier alévi [dans le district de Gazi à Istanbul] est, de longue date, […] le théâtre de manifestations antigouvernementales et d’intenses mesures de répression policière. De féroces affrontements entre les résidants et les forces de sécurité sont un phénomène courant depuis des années » (Al Jazeera 21 juill. 2016).

D’après le président de la Fondation des alévis-bektachis d’Amérique, le gouvernement de la Turquie s’est servi de la tentative de coup d’État de 2016 comme prétexte [traduction] « pour sévir contre tous ses opposants, y compris les citoyens alévis » (Alevi-Bektashi Foundation of America 22 nov. 2018). La même source a ajouté que [traduction] « plus de 115 000 agents de l’État, y compris des enseignants, des [membres du corps] policier, des soldats, des juges et des [universitaires], ont été congédiés ou suspendus sans procédure équitable, la plupart [d’entre eux] étant des opposants de Recep Tayyip Erdogan », y compris des alévis (Alevi-Bektashi Foundation of America 22 nov. 2018). Pour de plus amples renseignements sur l’état d’urgence imposé après la tentative de coup d’État de juillet 2016, y compris sur la situation des alévis, veuillez consulter la réponse à la demande d’information TUR105723 publiée en janvier 2017.

Selon le site de nouvelles Internet Middle East Eye (MEE), des chaînes de télévision alévies ont été fermées après la tentative de coup d’État de 2016 (MEE 29 sept. 2016). MRG signale que, après la tentative de coup d’État de 2016, [traduction] « de nombreux journalistes ont été emprisonnés et des médias ont été fermés, y compris la plupart de ceux dont les émissions ou les articles portaient sur la culture alévie » (MRG juin 2018). D’après Howard Eissenstat, certains médias alévis ont été fermés après la tentative de coup d’État en 2016, [traduction] « non pas parce qu’ils étaient alévis, mais parce qu’ils n’étaient pas considérés comme faisant partie de la base de soutien de l’AKP ou parce qu’ils étaient vus comme étant critiques envers le gouvernement » (Eissenstat 20 nov. 2018a). Il a signalé que [traduction] « [d]epuis la tentative de coup d’État en 2016, la situation des alévis n’a pas changé de manière radicale en Turquie » et a expliqué que « [d]epuis 2016, les autorités ont pris des mesures de répression à l’endroit des organisations de la société civile et ont restreint l’accès général à la sphère publique. Il s’ensuit que cela a eu une incidence sur la société civile alévie également » (Eissenstat 20 nov. 2018a). D’après la même source,

[traduction]

[e]n général, les alévis ne sont pas la cible de crimes haineux en raison de leur identité – la police ne pourchasse pas les alévis. Les alévis peuvent devenir la cible d’actes de violence ou d’agression s’ils portent des symboles alévis, ou s’ils dénoncent la discrimination dont ils sont victimes, ou s’ils entrent dans des espaces spécifiquement « sunnites ». C’est seulement quand une personne donne l’impression de contester le statu quo ou qu’elle affirme ouvertement son identité qu’elle devient une cible (Eissenstat 20 nov. 2018a).

4. Protection offerte par l’État

Selon Howard Eissenstat,

[traduction]

[s]ouvent, il n’y a pas d’enquête sur les cas de discrimination et, par conséquent, ces cas ne sont pas signalés aux autorités. Une affaire de discrimination est plus susceptible de faire l’objet d’une enquête si l’État estime que l’affaire est délicate sur le plan politique. Toutefois, en ce qui a trait aux insultes anti-alévis courantes et aux actes de vandalisme contre les résidences, il est peu probable que la police intervienne (Eissenstat 20 nov. 2018a).

Au dire du boursier de recherches postdoctorales,

[traduction]

[e]n 1993, il y a eu le massacre de Sivas, entraînant la mort de 35 alévis. Les agresseurs n’ont jamais été traduits en justice et, récemment, les autorités ont abandonné l’affaire. Cet exemple démontre qu’il n’y a pas de répercussions pour ceux qui commettent des crimes majeurs contre les alévis et [qu’il n’y a] aucune volonté politique de traduire en justice les auteurs de crimes contre les alévis (boursier de recherches postdoctorales 21 nov. 2018).

La même source a fourni un autre exemple : à la fin de 2015, les autorités policières ont tiré sur une jeune femme, Dilek Doğan, chez elle dans un quartier d’Istanbul où habitent de nombreux alévis (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018). Selon la même source, les autorités policières ont tiré sur la jeune femme après que cette dernière leur a demandé d’enlever leurs chaussures quand ils sont entrés dans la maison pour une perquisition (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018). De même, le Hürriyet Daily News signale que, en octobre 2015, Dilek Doğan a été blessée par des tirs dans sa maison à Küçükarmutlu durant une descente policière par [traduction] « un policier de l’unité des opérations spéciales » après qu’elle « a insisté pour que les policiers mettent des couvre-chaussures pour ne pas salir le plancher » (Hürriyet Daily News 20 déc. 2015). Selon la même source, Dilek Doğan est décédée le 25 octobre 2015, après être restée dans un état de coma pendant une semaine (Hürriyet Daily News 20 déc. 2015). Le boursier de recherches postdoctorales a déclaré [traduction] « [qu’]il n’y a pas eu de répercussions pour ces agents de la police; ils ont agi avec impunité » (boursier de recherches postdoctorales 26 nov. 2018). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a pas trouvé d'autres renseignements allant dans le même sens.

Dans le New York Times, on peut lire que, en juillet 2017, la police a protégé des milliers d’alévis qui défilaient à Sivas pour commémorer la tuerie des alévis en 1993 (The New York Times 22 juill. 2017). Howard Eissenstat a déclaré que

[traduction]

[l]es événements organisés par la population alévie pour commémorer les victimes du massacre de Sivas se déroulent pacifiquement de manière générale et les autorités ne perturbent pas ces événements publics. Il convient de signaler que parmi les personnes les plus étroitement liées aux agressions à Sivas, certaines occupent aujourd’hui des postes de dirigeants au sein de l’AKP (Eissenstat 20 nov. 2018a).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l’aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n’apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d’une demande d’asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d’information.

Notes

[1] Le Projet sur la démocratie au Moyen-Orient (Project on Middle East Democracy – POMED), dont le siège est à Washington, est [traduction] « un organisme non partisan et sans but lucratif ayant pour mission d’étudier comment des démocraties authentiques pourraient se développer au Moyen-Orient et comment les États-Unis pourraient soutenir ce processus de manière optimale. Au moyen du dialogue, de la recherche et de la promotion des droits, [le POMED] travaille en vue de renforcer l’appui aux politiques américaines qui favorisent la réforme démocratique au Moyen-Orient » (POMED s.d.).

[2] Alev Dudek est un chercheur, analyste et auteur germano-américainqui a fait partie du comité de direction de la Société internationale pour la gestion de la diversité (International Society for Diversity Management) à Berlin (Dudek 10 févr. 2017).

[3] La Fondation des alévis-bektachis d’Amérique (Alevi-Bektashi Foundation of America) est un organisme américain [traduction] « voué à desservir la communauté alévie-bektachie en mettant en place les ressources et l’environnement requis pour favoriser la sensibilisation à la culture alévie-bektachie et anatolienne, ainsi que la communication de renseignements, d’avis et de connaissances spécialisées touchant cette culture » (Alevi-Bektashi Foundation of America s.d.).

Références

Alevi-Bektashi Foundation of America. 22 novembre 2018. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par le président.

Alevi-Bektashi Foundation of America. S.d. « About Us ». [Date de consultation : 22 nov. 2018]

Al Jazeera. 21 juillet 2016. Jesse Rosenfeld. « Turkey: United Against a Coup, Divided on the Future ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Al-Monitor. 28 novembre 2017. Ayla Jean Yackley. « Turkey's Alevis on Edge After Homes Vandalized ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Boursier de recherches postdoctorales, University of Oxford. 26 novembre 2018. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Boursier de recherches postdoctorales, University of Oxford. 21 novembre 2018. Entretien téléphonique.

Deutsche Welle (DW). 26 avril 2016. Mark Hallam. « Turkey Discriminates Against Alevi Faith, ECHR Rules ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Dudek, Alev. 10 février 2017. « Religious Diversity and the Alevi Struggle for Equality in Turkey ». Forbes. [Date de consultation : 30 oct. 2018]

Eissenstat, Howard. 20 novembre 2018a. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.

Eissenstat, Howard. 20 novembre 2018b. Entretien téléphonique.

États-Unis (É.-U.). 20 avril 2018. Department of State. « Turkey ». Country Reports on Human Rights Practices for 2017. [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Foreign Affairs. 5 janvier 2017. Fariba Nawa. « Turkey and the Alevis ». Council on Foreign Relations (CFR). [Date de consultation : 30 oct. 2018]

Freedom House. 2018. « Turkey ». Freedom in the World 2018. [Date de consultation : 22 nov. 2018]

Hürriyet Daily News. 23 novembre 2017. « Marking of Alevi Houses a Provocation: Turkish Police ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Hürriyet Daily News. 10 novembre 2017. « Cemevi in Istanbul Attacked ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Hürriyet Daily News. 26 avril 2016. « ECHR Fines Turkey for Violating Alevis' Right to Religious Freedom ». [Date de consultation : 27 nov. 2018]

Hürriyet Daily News. 20 décembre 2015. « Footage of Dilek Doğan's Shooting Released, Added to Case File ». [Date de consultation : 29 nov. 2018]

Middle East Eye (MEE). 29 septembre 2016. Alex MacDonald. « 12 Kurdish and Alevi TV Stations Closed in Turkey, as Crackdown Extended ». [Date de consultation : 22 nov. 2018]

Minority Rights Group International (MRG). Juin 2018. « Alevis ». World Directory of Minorities and Indigenous Peoples. [Date de consultation : 28 nov. 2018]

The New York Times. 22 juillet 2017. Patrick Kingsley. « Turkey's Alevis, a Muslim Minority, Fear a Policy of Denying Their Existence ». [Date de consultation : 30 oct. 2018]

Project on Middle East Democracy (POMED). S.d. « Mission Statement ». [Date de consultation : 20 nov. 2018]

Religious Literacy Project (RLP). Harvard Divinity School. S.d. « Alevism ». [Date de consultation : 30 oct. 2018]

Reuters. 27 avril 2018. Fariba Nawa. « For Turkey's Alevi Minority, Dam-Building Plans Threaten Way of Life ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Stockholm Center for Freedom (SCF). 1er décembre 2017. « The Door of Alevi Family Marked with Nationalist/Islamist Phrases in Istanbul ». [Date de consultation : 22 nov. 2018]

Turkey Purge. 23 novembre 2017. « Alevis Worried as 13 Houses Marked With Crosses in Turkey's Malatya Province ». [Date de consultation : 19 nov. 2018]

Autres sources consultées

Sources orales : Alevi Federation of Australia; Alevitische Culturele Vereniging Den Haag; Alevitische Glaubensgemeinschaft in Österreich; Canadian Alevi Cultural Center; European Alevi Youth Federation; Fédération de l’union des alévis en France; Human Rights Watch; universitaires spécialistes des questions liées aux droits de la personne en Turquie.

Sites Internet, y compris : Amnesty International; ecoi.net; The Guardian; Human Rights Watch; Nations Unies – Refworld.



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