Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa
Aspects juridiques
Un rapport d'une mission à Kinshasa et Kisangani conduite conjointement par l'organisation belge du Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA), l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l'Office fédéral [suisse] des réfugiés (ODR) décrit ci-dessous l'évolution historique de la loi sur la nationalité congolaise en ce qui a trait aux Congolais d'origine rwandaise. Cette mission conjointe a été conduite dans le cadre du projet ARGO, un « programme de coopération administrative de la Commission européenne (CE) dans les secteurs de l'asile, de l'immigration, des visas et du contrôle aux frontières » (Projet ARGO 2003, oct. 2004).
Selon le rapport, tout commence par la constitution congolaise du 1e août 1964 qui prive les Rwandophones (ou Congolais d'origine rwandaise, Congolais d'expression rwandaise ou Banyarwanda) « transplantés » du Rwanda en RDC de 1930 à 1954, de la nationalité congolaise (Projet ARGO oct. 2004, 44). Toutefois, un « décret-loi » subséquent datant du 18 septembre 1965 stipulait que les descendants de ces personnes transplantées pouvaient opter pour la nationalité congolaise (ibid.).
Avec « l'ordonnance - loi » no 71-020 du 26 mars 1971 relative aux personnes originaires du « Ruanda-Urundi » [devenus le Rwanda et le Burundi] établies au Congo avant le 30 juin 1960, « tous les Rwandophones » établis en RDC [alors Zaïre] avant 1960 « récupèrent leur nationalité » (ibid.; voir aussi Dialogue août-sept. 1996, p. 21). Toutefois, moins d'une année après, la loi no 72-002 du 5 janvier 1972 prive de nouveau les Rwandophones arrivés en RDC après le 1e janvier 1950 de leur nationalité congolaise (Projet ARGO oct. 2004, 44). Par la suite, la loi no 81-002 du 29 juin 1981 précisait notamment qu' « est zaïroise toute personne dont un des descendants est membre d'une tribu établie sur le territoire dans ses limites du 1er août 1885 »; la plupart des Congolais d'origine rwandaise perdent ainsi leur nationalité congolaise (ibid.).
Pour Oswald Ndeshyo Rurihose, alors doyen de la faculté de droit de l'Université de Kinshasa, en enlevant à une partie des Zaïrois parlant le kinyarwanda leur nationalité zaïroise, la loi no 81-002 du 29 juin 1981 est « injuste, arbitraire et inéquitable » (Dialogue août-sept. 1996, 3). Selon lui, les personnes visées par cette loi sont les Congolais originaire du Nord-Kivu (zone de Masisi, de Goma et de Rutshuru), du Sud-Kivu (zones de Kalehe, de Baraka et d'Uvira) et du Shaba (zone de Moba) (ibid.).
Enfin, la loi no 04-024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise, précise, notamment dans « l'exposé des motifs » que :
la présente loi a pour but de répondre d'une part aux prescrits de [....] la Constitution de la transition et d'autre part aux critiques pertinentes formulées par les délégués aux assises du Dialogue Inter-Congolais contre la législation congolaise en matière de nationalité, spécialement l'Ordonnance-Loi n° 71-002 du 28 mars 1971, la Loi n° 72-002 du 05 janvier 1972 dans son article 15 et le Décret-Loi n° 197 du 29 janvier 1999 modifiant et complétant la Loi n° 81-002 du 29 juin 1981 (RDC nov. 2004) (RDC 12 nov. 2004, i).
La même loi stipule également dans son article 6 qu' « est congolaise d'origine toute personne appartenant aux groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République démocratique du Congo) à l'indépendance » [le 30 juin 1960] (ibid., 3), en 1960.
Ainsi, un rapport de la BBC, faisant allusion à la constitution congolaise, précisait, qu'en conférant la citoyenneté aux membres de tous les groupes ethniques présents sur le territoire nationale au moment de l'indépendance, la nouvelle constitution congolaise accordait simultanément la citoyenneté à des milliers de Tutsis congolais qui ont été transplantés dans ce qui était le Congo belge au cours du 19ème siècle (14 mai 2005). La nouvelle constitution a été approuvée à 84, 31 p. 100 lors d'un référendum le 19 décembre 2005 (RDC 11 janv. 2006).
Processus et conditions de réintégration de la nationalité congolaise
Un docteur en histoire, chercheur au Centre d'études de la région des Grands lacs d'Afrique de l'Université d'Anvers (Belgique), également spécialiste de l'Afrique centrale et de la région du Kivu en particulier, a signalé, le 8 décembre 2005 au cours d'un entretien téléphonique, qu'avec l'adoption de la loi no 04-024 du 12 novembre 2004, les Congolais d'origine rwandaise ont « automatiquement » recouvré la nationalité congolaise. Il a expliqué qu'à sa connaissance, aucun processus de réintégration de la nationalité congolaise n'a été prévu ni aucune condition n'a été imposée (8 décembre 2005). Le spécialiste de la région du Kivu a expliqué que les Congolais d'origine rwandaise ne sont en aucune façon tenus de se présenter aux autorités gouvernementales en vue de recouvrer leur nationalité congolaise (8 déc. 2005). Selon lui, en cas de doute, la personne concernée doit se rendre dans sa chefferie d'origine pour en ramener une preuve documentaire prouvant qu'elle est de nationalité congolaise, ou doit trouver cinq personnes qui attestent de sa nationalité si elle vit très loin de son lieu d'origine (8 décembre 2005). D'après le chercheur, il en va de même pour tous les autres Congolais (8 déc. 2005).
D'après le spécialiste du Kivu, le problème ne réside pas dans le recouvrement de la nationalité par les Congolais d'origine rwandaise, mais plutôt dans la méfiance qui prévaut entre ces derniers et les membres des autres groupes ethniques, notamment du Kivu, méfiance exacerbée par plusieurs années de guerre qui se sont succédé en RDC depuis 1996 (8 déc. 2005).
De son côté, un représentant d'Héritiers de la justice, organisation non gouvernementale de défense des droits de la personne installée à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, a signalé, dans une communication écrite envoyée le 6 janvier 2006 à la Direction des recherches, qu'avec la loi de novembre 2004, les Congolais d'expression rwandaise (Tutsis et Hutus) sont considérés comme « citoyens d'origine et non par acquisition », étant donné que « la référence temporelle » est fixée à la date de l'indépendance et non en 1885, comme dans la loi précédente. Il a expliqué, par ailleurs, que depuis l'adoption de cette loi, aucune démarche supplémentaire n'a été imposée aux Congolais d'origine rwandaise en vue de la réintégration de la nationalité congolaise (6 janv. 2006).
Le représentant d'Héritiers de la justice, faisant allusion au déroulement du référendum constitutionnel des 18 et 19 décembre 2005, a signalé que les Congolais d'origine rwandaise du Kivu, sans discrimination aucune, ont pris part à l'opération d'identification et d'enrôlement des électeurs ainsi qu'au vote, ajoutant que même « un nombre non négligeable » d'entre eux travaillant au Rwanda avaient franchi la frontière pour venir se faire enrôler et participer au référendum (6 janv. 2006.).
Par la suite, ce même représentant, joint par téléphone à Bukavu le 10 janvier 2006, a expliqué qu'à l'instar d'autres citoyens, les Congolais d'origine rwandaise présentaient les mêmes pièces d'identité que celles exigées des autres citoyens lors du processus d'identification des élections et lors du vote référendaire.
Selon l'article 8 de la loi n° 04-028 du 24 décembre 2004 portant sur l'identification et l'enrôlement des électeurs en République démocratique du Congo, l'inscription sur la liste des électeurs est soumise aux conditions suivantes :
- être de nationalité congolaise;
- être âgé de 18 ans révolus à la date de clôture des opérations d'identification et d'enrôlement;
- se trouver sur le territoire de la République démocratique du Congo au moment de l'identification et de l'enrôlement;
- jouir de ses droits civiques et politiques (RDC 24 déc. 2004).
De son côté, l'article 10 de la même loi stipule que les pièces d'identification suivantes sont exigées pour prouver l'identité et l'âge de l'électeur :
- le certificat de nationalité ou l'attestation tenant lieu de certificat de nationalité;
- la carte d'identité pour citoyen;
- le passeport national;
- le permis de conduire national sécurisé;
- le livret de pension congolais délivré par l'Institut national de sécurité sociale ou par toute autre institution congolaise légalement reconnue en tenant lieu;
- la carte d'élève ou d'étudiant;
- la carte de service (ibid.)
Le même article ajoute qu'à « défaut de l'une ou l'autre de ces pièces, sera pris en considération le témoignage fait devant le bureau du Centre d'inscription par cinq témoins déjà inscrits sur la liste des électeurs du même Centre d'inscription et résidant depuis 5 ans au moins dans le ressort du centre d'inscription » (RDC 24 déc. 2004)
Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais prescrits. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous la liste des autres sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.
Références
BBC. 14 mai 2005. « New DR Congo Constitution Backed/span> ». <http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/4546535.stm> [Date de consultation : 31 oct. 2005]
Chercheur, Centre d'étude de la région des Grands lacs d'Afrique. 7 décembre 2005. Entretien téléphonique.
_____. S.d. « Équipe ». <http://www.gralac.org/pers_f.htm> [Date de consultation : 7 nov. 2005]
Dialogue [Bruxelles]. Août-septembre 1996. No 192. Oswald Ndeshyo Rurihose. « La nationalité de la population zaïroise d'expression kinyarwanda au regard de la loi du 29 juin 1991».
Héritiers de la justice. 6 janvier 2006. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches par un représentant.
Projet ARGO. Octobre 2004. République démocratique du Congo. Ethnies et groupes armés dans l'Est de la République démocratique du Congo. Mission à Kinshasa et à Kisangani conduite par le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CG RA), l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l'Office fédéral [suisse] des réfugiés (ODR) respectivement en mai et juillet 2004.
République démocratique du Congo (RDC). 11 janvier 2006. « Référendum : le oui l'emporte avec 84,31% ». <http://www.cei-rdc.org/article.php3?id_article=68> [Date de consultation : 12 janv. 2006]
_____. 24 décembre 2004. Assemblée nationale. Loi n° 04-028 portant identification et enrolement des électeurs en République démocratique du Congo. <http://www.cei-rdc.org/loident.pdf> [Date de consultation : 16 janv. 2006]
_____. 12 novembre 2004. Loi n° 04-024 relative à la nationalité congolaise. <http://www.cei-rdc.org/loination.pdf> [Date de consultation : 16 janv. 2006]
Autres sources consultées
Publications : Africa Confidential, Africa Research Bulletin, L'Afrique des Grands lacs : Annuaire 2004-2005, Dossier de pays du Centre des ressources, Jeune Afrique/L'Intelligent.
Sites Internet, y compris: AllAfrica.com, Amnesty International, BBC News, CIA World Factbook, European Country of Origin Information Network (ECOI.net), Factiva, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Freedom House, Human Rights Watch (HRW), IDP report of Norwegian Refugee Council, International Crisis Group (ICG), Migration News, Minorities at Risk Project, Relief Web, UNHCR, United Kingdom - Immigration and Nationality Directorate (IND), US Committee for Refugees and Immigrants, United States Department of State.