Guide juriprudentiel - Décision TB7-01837

À huis clos

Motifs et décision

Personne(s) en cause :

XXXX XXXX

 

Appel instruit à :

Toronto (Ontario)

 

Date de la décision :

8 mai 2017

 

Tribunal :

Edward Bosveld

 

Conseil(s) du (de la/des) personne(s) en cause :

Elyse Korman

 

Représentant(e)(s) désigné(e)(s) :

S/O

 

Conseil du ministre :

S/O

 

Motifs de décision

[1] XXXX XXXX (l’appelante), citoyenne du Pakistan, interjette appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) ayant rejeté sa demande d’asile. Elle n’a présenté aucun nouvel élément de preuve à l’appui de son appel. L’appelante demande à la Section d’appel des réfugiés (SAR) de casser la décision défavorable de la SPR et de conclure qu’elle a qualité de réfugié au sens de la Convention ou de renvoyer l’affaire à la SPR.

Décision

[2] Conformément au paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), la SAR casse la décision attaquée et y substitue la décision selon laquelle l’appelante a qualité de réfugié au sens de la Convention. Il est fait droit à l’appel.

Contexte

[3] L’ appelante a affirmé devant la SPR qu’elle est membre dévote de la minorité religieuse ahmadi au Pakistan et qu’elle craint d’être persécutée dans son pays d’origine en raison de sa foi.

[4] La demande d’asile de l’appelante a été instruite le 3 novembre 2016. Dans une décision datée du 20 décembre 2016, la SPR a rejeté la demande d’asile. Le tribunal a reconnu l’identité nationale de l’appelante en tant que citoyenne du Pakistan et son identité religieuse en tant qu’ahmadie. Toutefois, il a souligné quelques préoccupations en matière de crédibilité, a estimé que l’appelante n’avait pas un profil particulier en tant qu’ahmadie et a conclu qu’elle n’avait pas de crainte subjective. La SPR a reconnu l’existence de lois visant la minorité ahmadie, mais elle a estimé que [traduction] « cela ne constitue pas nécessairement un bon motif pour craindre la persécution. Si c’était le cas, chaque ahmadi serait un réfugiéNote de bas de page 1. »

[5] L’ appelante affirme que la SPR a commis une erreur en estimant que l’appelante pouvait librement pratiquer sa religion au Pakistan, en tirant des conclusions indéfendables en matière de crédibilité, en concluant que l’appelante n’a pas de crainte subjective ou de raison objective d’avoir une telle crainte et en ne menant pas d’analyse au titre de l’article 97 de la LIPR. L’appelante signale aussi que le même commissaire de la SPR a rendu des décisions très semblables qui ont été invalidées par la SAR dans des décisions dont les motifs étaient sévères.

ANALYSE

Le rôle de la Section d’appel des réfugiés

[6] Même si la LIPR prévoit les motifs d’appel ainsi que les recours possibles, elle ne précise pas la norme de contrôle que doit appliquer la SAR à l’égard de la décision du tribunal d’instance inférieure.

[7] L’appelante ne fait aucune observation particulière sur la norme de contrôle à appliquer en l’espèce.

[8] La SAR a été créée par une loi, tout comme l’appel dont elle est saisie; son rôle et sa compétence doivent être déterminés en analysant les dispositions législatives qui créent la SAR et l’appelNote de bas de page 2. L’appel devant la SAR

(i) doit viser la décision de la SPR, (ii) doit être tranché à partir du dossier constitué au moment de la décision de la SPR, à moins que de nouveaux éléments de preuve ne soient admis, et (iii) doit porter uniquement sur des erreurs de droit, des erreurs de fait ou des erreurs mixtes de droit et de fait qui, selon l’appelant, ont été commises par la SPR. Il s’agit là du mécanisme prévu par la loi pour un appel interjeté à la SARNote de bas de page 3.

[9] Selon la Cour d’appel fédérale, la SAR doit procéder à un examen attentif de la décision de la SPR puis effectuer sa propre analyse du dossier afin d’établir si la SPR a bel et bien commis l’erreur avancée par l’appelante. La SAR peut ensuite statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. Si la SAR ne peut rendre de décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR, l’affaire peut être renvoyée à la SPRNote de bas de page 4.

[10] La SAR examinera la décision de la SPR en fonction de la norme de la décision correcte et fera preuve de déférence uniquement si la SPR avait un avantage marqué pour tirer une conclusion. Même lorsque la SAR doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR, ces conclusions doivent découler d’un raisonnement compréhensible. La SAR doit être en mesure de lire la décision de la SPR et de comprendre comment la SPR est parvenue à ses conclusions.

Conclusions de la Section de la protection des réfugiés

[11] L’appelante soutient que la SPR a commis diverses erreurs lorsqu’elle a rejeté sa demande d’asile.

Conclusions quant à la crédibilité

[12] La SPR a conclu que la crédibilité était l’une des principales questions à trancher et a pris en compte le témoignage de l’appelante selon lequel elle avait été harcelée à l’école alors qu’elle était enfant. Le commissaire de la SPR a longuement questionné l’appelante au sujet de la proportion d’ahmadis et de non ahmadis dans les classes de son école primaire et celle de ses enfants. La SPR a cité des éléments de preuve objectifs selon lesquels des enfants non ahmadis n’étaient pas admis dans les écoles régionales quand l’appelante était à l’école et a conclu que le témoignage de l’appelante n’était pas digne de foi. La SPR a également constaté qu’il était [traduction] « difficile d'imaginer que dans chaque classe, à chacune des années scolaires de ses enfants, toutes les classes étaient composées d’une moitié d’élèves non ahmadis qui harcelaient chacun de ses enfants dans son année scolaire respectiveNote de bas de page 5. »

[13] Dans le cadre de l’appel, l’appelante soutient qu’elle n’a jamais dit que la moitié des élèves de sa classe n’étaient pas ahmadis et qu’elle a plutôt dit qu’en 1974, la ville de XXXX, qui était majoritairement ahmadie, a été déclarée ouverte aux non ahmadis, dont un bon nombre ont ensuite emménagé dans la ville. Elle affirme que la seule mention qu’elle a faite au sujet d’un nombre d’élèves non ahmadis portait sur la classe de son fils pendant sa dernière année scolaire.

[14] Bien que la SPR jouisse d’un avantage marqué par rapport à la SAR en ce qui a trait à l’évaluation de la crédibilité du témoignage de vive voix, les conclusions de la SPR doivent tout de même être fondées sur la preuve. La SAR a examiné l’enregistrement audio de l’audience de la SPR ainsi que la transcription fournie par l’appelante. La preuve ne permet pas de conclure que l’appelante a témoigné que près de la moitié de ses camarades de classe n’étaient pas ahmadis; lorsque le commissaire de la SPR a insisté, l’appelante a dit estimer que près de la moitié des élèves de la classe de son fils n’étaient pas ahmadis pendant sa dernière année scolaireNote de bas de page 6. Cette conclusion en matière de crédibilité qu’a tirée la SPR n’est pas appuyée par la preuve; elle est donc erronée.

[15] La SPR a aussi pris en compte le témoignage de l’appelante au sujet de l’un de ses fils, XXXX et XXXX, et a estimé qu’il [traduction] « n’était pas crédible que [le fils de l’appelante] soit en mesure de limiter ses déplacements au point de rarement sortir et de sortir la nuit uniquementNote de bas de page 7. » Il n’est pas ici question de crédibilité, mais plutôt d’une conclusion d’invraisemblance, au sujet de laquelle la SAR ne doit pas faire preuve de déférence. De toute façon, cette conclusion est elle aussi fondée sur un témoignage mal interprété. En fait, l’appelante a témoigné que son fils ne sortait pas la nuit, mais la transcription indique que le commissaire de la SPR pourrait avoir mal compris :

[traduction]
Appelante :
La situation à XXXX est plutôt mauvaise, car les mollahs font des processions pour manifester contre les ahmadis. Ils viennent et scandent des slogans contre les ahmadis. Ce n’est pas très sûr, à XXXX. Mon fils évite donc de sortir la nuit.

Commissaire de la SPR : Sortir la nuit?

Appelante : Oui.

Commissaire de la SPR : Comment peut-il sortir la nuit s’il XXXX?

Appelante : Il XXXX le jour, mais le danger vient des gens qui proviennent de l’extérieur de XXXX, alors il évite de sortir quand il fait noirNote de bas de page 8.

[16] Cette conclusion d’invraisemblance qu’a tirée la SPR est fondée sur une mauvaise compréhension du témoignage; elle est donc erronée.

[17] L’appelante a affirmé, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), qu’elle avait peur d’être accusée en vertu des lois sur le blasphème du Pakistan. La SPR a toutefois estimé que [traduction] « à aucun moment de l’audience la demandeure d’asile n’a parlé de cette crainteNote de bas de page 9. » En fait, la conseil de l’appelante a posé à cette dernière la question suivante : [traduction] « Que pourrait-il arriver si la mauvaise personne apprenait que vous êtes ahmadie? » L’appelante a répliqué : [traduction] « Tout pourrait arriver si une telle personne l’apprenait. Elle pourrait faussement nous accuser de blasphèmeNote de bas de page 10. » Encore une fois ici, l’analyse de la SPR n’est pas fondée sur la preuve.

[18] La SPR a désigné la crédibilité comme étant la [traduction] « principale question à trancher pour cette demande d’asile » et [traduction] « a estimé que la majorité du témoignage de la demandeure d’asile était invraisemblable, ce qui donnait suffisamment de raison de réfuter la présomption de la véracité de son témoignageNote de bas de page 11. » Toutefois, les conclusions en matière de crédibilité sont tout simplement erronées, et la SPR n’a pas expliqué la raison pour laquelle elle a jugé que la majorité du témoignage était invraisemblable.

Crainte subjective

[19]  La SPR a souligné que l’appelante a quitté le Pakistan plus d’une fois pour vivre avec des proches en Inde, pays qui n’est pas signataire de la Convention sur les réfugiés. La SPR a blâmé l’appelante parce qu’elle ne s’est pas renseignée pour demeurer en Inde. L’appelante n’avait pas non plus essayé de venir au Canada avant que deux de ses fils n’y arrivent et obtiennent le statut de réfugié. La SPR a estimé que l’appelante n’avait pas de crainte subjective : elle n’a pas essayé de demeurer en Inde, est retournée à maintes reprises au Pakistan et, une fois arrivée au Canada, a attendu quelques mois avant de présenter sa demande d’asile. Elle a expliqué le retard par le fait qu’elle ne voulait pas compromettre la demande de visa de la mère de sa belle-fille, qui cherchait aussi à fuir le Pakistan. La SPR a considéré ce retard comme une tentative de [traduction] « manipuler le systèmeNote de bas de page 12 » canadien et a conclu que l’appelante participait à un [traduction] « abus flagrant du système de protection des réfugiés qui doit être traité en droit de l’immigration plutôt qu’en droit des réfugiésNote de bas de page 13. »

[20] L’appelante affirme qu’un départ tardif n’est habituellement pas une question déterminante pour une demande d’asile. Si la demande d’asile est fondée sur un certain nombre d’actes de persécution se produisant sur une longue période, le départ tardif n’est pas un fondement raisonnable pour douter de la crainte subjective. L’appelante a expliqué à la SPR qu’elle n’a pas de statut en Inde et qu’elle n’a pas non plus le droit à un statut par l’entremise de ses parents; en outre, son époux et ses enfants se trouvaient au Pakistan. Quand son époux est mort en 1988, elle s’est démenée pour élever seule quatre fils et elle n’avait pas d’autre choix que d’attendre qu’ils s’établissent à l’étranger pour qu’ils l’emmènent là où elle serait en sécurité. Ses cinq demandes de visa montrent sa volonté de quitter le Pakistan, et le temps qu’elle a pris avant de présenter une demande d’asile au Canada était raisonnable, car elle ne voulait pas mettre en péril la capacité de la mère de sa belle-fille à fuir le Pakistan.

[21] D’après la SAR, la SPR était tenue de prendre en compte la nature cumulative et croissante de la persécution appréhendée dans l’évaluation de la crainte subjective de l’appelante. L’appelante a vécu des incidents de discrimination et de persécution durant toute sa vie au Pakistan; elle note dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA que la situation s’est détériorée au fil des ans, surtout après les attaques à grande échelle contre les ahmadis en 2010. L’un de ses fils est parti en 2008, et un autre, en 2012. L’appelante a présenté des demandes de visa en XXXX 2013, en XXXX 2014, en XXXX 2014 et en XXXX 2015, avant de finalement recevoir un visa en XXXX 2016Note de bas de page 14. Dans la décision Ibrahimov, la Cour fédérale écrivait,

[…] dans les cas où une demande est fondée sur plusieurs actes de discrimination ou de harcèlement qui se terminent par un incident qui force la personne à quitter son pays, on ne peut pas considérer la question du retard comme un facteur important pour mettre en doute la crainte subjective de persécution. Les actes cumulatifs susceptibles de constituer de la persécution s’étalent sur une certaine période. Dans les cas où la demande d’une personne est en fait fondée sur plusieurs incidents qui se sont produits au cours d'une certaine période et qui sont susceptibles de constituer de la persécution du fait de leur nature cumulative, tenir compte du moment auquel la discrimination ou le harcèlement a commencé par rapport au moment où la personne en cause quitte le pays pour justifier le rejet de la demande en raison du retard revient à miner la notion même de persécution cumulativeNote de bas de page 15.

[22] La SPR a donc commis une erreur en tenant l’appelante responsable de n’être pas restée en Inde – où elle n’a aucun statut, aucun droit à un statut et qui n’est pas signataire de la Convention sur les réfugiés – ou d’être retournée au Pakistan, ou de n’avoir pas quitté le Pakistan plus tôt.

[23] La SPR a également commis une erreur en rejetant l’explication de l’appelante à propos du retard à présenter sa demande d’asile. L’appelante a eu beaucoup de difficulté à obtenir un visa canadien; elle était s’inquiétait du fait que, si elle présentait une demande d’asile, cela aurait empêché un autre membre de sa famille d’obtenir un visa. Bien que la SPR ait clairement désapprouvé ce qu’elle voyait comme une manipulation du système d’octroi de l’asile au Canada, cela ne change pas le fait que l’appelante était en situation régulière au Canada et qu’il n’y avait aucun risque pour elle d’attendre quelques mois avant de demander l’asile. Par contre, elle estimait qu’il pouvait y avoir un risque pour une autre femme ahmadie si l’appelante devait présenter promptement une demande d’asile. Bien que la SPR ait peut-être désapprouvé les motifs de l’appelante, ses actes n’indiquent tout simplement pas ici l’absence de crainte subjective.

[24] La SPR a commis une erreur en concluant à l’absence de crainte subjective chez l’appelante.

Fondement objectif et persécution religieuse

[25] D’après la SAR, la principale question à trancher dans la demande d’asile de l’appelante était le risque qu’elle soit persécutée en tant qu’ahmadie. L’analyse de cette question à trancher par la SPR est étrange et problématique.

[26] La SPR relève dans le témoignage de l’appelante que celle-ci [traduction] « aimerait discuter ouvertement ou prêcher sa religion ahmadie, mais n’en discutait qu’avec des personnes de confiance, autrement elle dissimulait sa religion ». Le tribunal fait remarquer avec raison que [traduction] « toute personne désireuse de manifester sa foi ouvertement devrait pouvoir le faire », mais conclut ensuite inexplicablement que [traduction] « rien dans la preuve de cette demandeure d'asile ne convainc le tribunal qu’elle souhaitait faire du prosélytisme ou avoir des conversations religieuses avec des non ahmadisNote de bas de page 16 ». La SAR ne comprend tout simplement pas cette analyse, qui présente des incohérences intrinsèques : si l’appelante a témoigné qu’elle voudrait pouvoir prêcher ouvertement sa religion, comment la SPR peut-elle ne constater aucune preuve d’un désir de prosélytisme ou de conversations religieuses?

[27] La SPR a examiné la preuve de l’appelante selon laquelle elle a arrêté de fréquenter la mosquée principale en 2010 après deux attaques violentes contre des lieux de culte ahmadis. Elle a noté l’affirmation de l’appelante selon laquelle ses prières étaient perturbées par de violents messages anti-ahmadis transmis par des haut-parleurs provenant de la mosquée sunnite. Comme il a été mentionné plus haut, la SPR savait, de par son témoignage, que l’appelante souhaitait discuter ouvertement de sa foi, mais qu’elle ne le pouvait pas. La SPR cite des éléments de preuve objectifs selon lesquels les minorités religieuses au Pakistan, y compris les minorités, sont [traduction] « soumises à des violences sociales, à de la discrimination ou à de la persécution de la part d’extrémistes ou des autorités ». Elle fait également remarquer que [traduction] « les musulmans ahmadis continuent d’être victimes, avec le meurtre en mai 2014 d’un ahmadi canado-américain en mission humanitaire et la récente attaque par la foule contre une maison ahmadie qui viennent rappeler leur vulnérabilité de façon expliciteNote de bas de page 17 […] »Malgré tous ces éléments de preuve, la SPR a conclu d’une manière ou d’une autre qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que l’appelante soit persécutée pour un motif prévu dans la Convention.

[28] Le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Guide du HCR) indique, en ce qui a trait à la religion, que :

71. La Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte relatif aux droits civils et politiques proclament le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce droit impliquant la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

72. La persécution « du fait de [la] religion » peut prendre diverses formes, telles que l’interdiction de faire partie d’une communauté religieuse, de célébrer le culte en public ou en privé , de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou également la mise en œuvre de mesures de discrimination graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion ou appartiennent à une communauté religieuse donnéeNote de bas de page 18.

[29] Le Guide du HCR explique également la différence entre discrimination et persécution :

Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tousNote de bas de page 19.

[30] Dans l’arrêt Rajudeen, la Cour d’appel fédérale a adopté la définition suivante de la persécution religieuse : [traduction] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit; tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d'un culte particulierNote de bas de page 20. »

[31] Ayant accepté le fait que l’appelante est une ahmadie, la SPR était tenue d’examiner si le traitement des ahmadis au Pakistan, y compris l’appelante, constitue une persécution fondée sur la religion.

[32] Le dossier comporte une preuve importante au sujet des ahmadis qui n’a pas été abordée par la SPR. La constitution du Pakistan a été modifiée en 1974 pour déclarer que les ahmadis étaient des [traduction] « non-musulmans »; dix ans plus tard, le Code criminel a été modifié pour ériger en infraction le fait pour un ahmadi de se présenter comme un musulman ou de pratiquer ou propager sa foi à titre de musulman. Lorsqu’ils demandent une carte d’identité ou un passeport, tous les Pakistanais doivent signer un serment qui rejette le fondateur de la religion ahmadie et déclare que les ahmadis sont des non-musulmans. Les ahmadis ont été poursuivis en vertu des lois sur le blasphème du Pakistan; le simple fait pour un ahmadi d’être accusé de blasphème l’expose au risque d’être attaqué ou lynché par la foule. Des ahmadis ont été arrêtés pour avoir lu le Coran et pour avoir inscrit des versets du Coran sur des bagues et des cartes de mariage. Les ahmadis sont victimes d’une discrimination sociale importante, et les comportements sociaux se sont révélés de plus en plus hostiles au cours de la dernière décennie. Certains groupes anti-ahmadis ont organisé des rassemblements dans le cadre desquels ils décrivaient le meurtre d’ahmadis comme étant une obligation religieuse. De nombreux actes de violence contre les ahmadis ont été commis, et la police affiche un médiocre bilan de protection.

[33] Les ahmadis sont marginalisés et exclus du système politique, car, afin de s’inscrire à titre d’électeurs, ils doivent signer une déclaration sur la finalité du prophète Mahomet, à laquelle ils ne peuvent souscrire. Les étudiants qui s’inscrivent à l’université doivent, s’ils se présentent comme musulmans, signer une déclaration similaire, qui exclut les ahmadis. Des professeurs d’université ont réclamé l’assassinat d’ahmadis, et les étudiants qui s’y opposaient ont été expulsés. Le gouvernement pakistanais persécute de manière proactive les ahmadis sur les plans social, économique et éducatif, au point où leur subsistance devient difficileNote de bas de page 21.

[34] Dans cette affaire, à l’instar des décisions antérieures, la SPR a mal appliqué une définition trop restreinte du terme « persécution ». La SPR s’est concentrée sur la violence physique, et a semblé conclure que l’appelante ne serait pas blessée ni tuée en raison de sa religion. Cependant, la SPR n’a pas entrepris une analyse approfondie pour savoir si les restrictions auxquelles sont confrontés les ahmadis, y compris l’appelante, représentent un refus du droit fondamental à la liberté de religion.

[35] La liberté de religion comprend le droit de manifester sa religion par des pratiques, y compris en public, une liberté dont les ahmadis au Pakistan sont privés. Ils sont exposés à des mesures qui entraînent des conséquences gravement préjudiciables, notamment l’interdiction de se présenter comme des musulmans, la difficulté de présenter une demande de documents et d’admission dans des établissements d’enseignement, l’ingérence dans la fréquentation d’une mosquée et la prière, et une interdiction de se livrer au prosélytisme. Même si les ahmadis n’étaient pas menacés de préjudices corporels – et la preuve montre qu’un tel danger existe vraiment – beaucoup d’éléments de preuve ont été fournis à l’appui de l’argument selon lequel ils font l’objet de persécution fondée sur des croyances religieuses.

[36] La SAR est d’avis que l’appelante est confrontée à de graves restrictions à la pratique de sa religion. Elle n’a pas besoin de prouver qu’elle subira des préjudices corporels. La preuve montre qu’elle ne peut pas se présenter comme une musulmane; qu’elle doit renier sa foi – choisissant d’être musulmane ou ahmadie, mais non les deux – pour obtenir des documents ou être admise dans des établissements gouvernementaux; qu’elle souhaite exprimer publiquement sa foi, mais qu’il lui est interdit de le faire; que ses prières sont délibérément perturbées par des haut-parleurs qui crachent des messages de haine; qu’elle ne peut pas fréquenter une mosquée en particulier en raison des menaces d’actes de violence; et qu’elle risque d’être poursuivie en vertu des lois sur le blasphème.

[37] La SPR a affirmé que [traduction] « la simple existence de lois visant un groupe religieux en particulier, en l’espèce, les ahmadis, ne donne pas nécessairement des motifs valables de craindre la persécution. Si c’était le cas, chaque ahmadi serait un réfugiéNote de bas de page 22. » Bien que la simple existence de lois de persécution puisse ne pas suffire à établir le bien-fondé d’une demande d’asile, la SPR doit porter son regard au-delà de ces lois et examiner si elles sont ou non mises en œuvre et, le cas échéant, la manière dont elles le sont, et examiner les autres mesures et pratiques qui pourraient avoir une incidence sur la liberté de religion d’un demandeur d’asile.

[38] Ce n’est pas à la SPR ni à la SAR de déterminer si [traduction] « chaque ahmadi serait un réfugié », quoiqu’il ne soit pas rare qu’un groupe entier soit considéré comme étant exposé à un risque de persécution dans un pays donné en raison du profil de ses membres, que ce soit pour des raisons d’orientation sexuelle, d’origine ethnique ou de religion. Cependant, dans le cadre de son examen de demandes d’asile comme celle de l’appelante, la SPR est tenue d’appliquer correctement la définition de persécution fondée sur les croyances religieuses à la preuve, et d’éviter de restreindre cette définition aux préjudices corporels.

[39] La SAR a examiné la preuve et estime que l’appelante est exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée en raison de sa religion ahmadie. Puisque l’État est l’un des principaux agents de persécution, l’appelante ne peut pas s’attendre à bénéficier d’une protection de l’État adéquate. Puisque les lois, les mesures et les pratiques de persécution existent dans toutes les régions du Pakistan, l’appelante ne peut pas se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur viable.

Conclusion

[40] Conformément au paragraphe 111(1) de la LIPR, la SAR casse la décision attaquée et y substitue sa propre décision selon laquelle l’appelante a qualité de réfugié au sens de la Convention. Il est fait droit à l’appel.

Signé :

Edward Bosveld

 

Date :

8 mai 2017