5.2. Principes généraux relatifs à la section E de l’article premier
Selon l’article 98 de la
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiésNote 2, la personne visée par l’exclusion au titre de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.
La section E de l’article premier est ainsi libellée :
Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce paysNote 3.
Dans l’arrêt ZengNote 4, la Cour d’appel fédérale a établi le critère juridique à appliquer dans les décisions relatives à la section E de l’article premier :
[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est visé par la clause d’exclusion. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.
[29] Il appartiendra à la SPR de soupeser les facteurs et de déterminer si l’exclusion s’appliquera dans les circonstancesNote 5.
Pour une discussion approfondie sur le critère juridique, voir le chapitre 10.2 – Critère du document des Services juridiques de la CISR intitulé
La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger.
Pour une discussion approfondie sur le type de statut dans le pays de résidence faisant en sorte que la section E de l’article premier entre en jeu, voir le chapitre 10.4 – Droits et obligations des ressortissants du document des Services juridiques de la CISR intitulé La jurisprudence sur l’interprétation de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger.
5.3. Question de la date : Date pertinente pour l’analyse de la Section d'appel des refugiés de l’exclusion prévue à la section E de l’article premier
5.3.1. Description de la question de la date
La section E de l’article premier exige la tenue d’une enquête sur le statut d’une personne dans un pays de résidence. Étant donné que le statut d’une personne dans un pays de résidence peut changer avec le temps, la Cour fédérale a admis que « l’examen de l’application de la section E de l’article premier doit se faire à un moment [dans le temps] »Note 6.
La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt ZengNote 7 en 2010 a réglé la question du point de vue de la SPR. Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a résolu le manque d’uniformité de la jurisprudence des tribunaux inférieursNote 8 et a établi que la date devant être retenue par la SPR pour déterminer le statut dans le pays de résidence est la date de l’audience de la SPR. En conséquence, la Cour a répondu par l’affirmative à la question certifiée suivante :
La Section du statut de réfugié a-t-elle le droit de tenir compte du statut d’un individu dans un tiers pays à son arrivée au Canada et par la suite, jusqu’à la date de l’audience devant la Section du statut de réfugié, afin de déterminer si une personne doit être exclue en vertu de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiésNote 9?
Toutefois, depuis l’entrée en vigueur, soit le 15 décembre 2012, la SAR a été confrontée à une question semblable au moment de trancher les appels interjetés contre les décisions de la SPR relativement à l’application du motif d’exclusion prévu à la section E de l’article premier : Quelle est la date que la SAR doit retenir pour déterminer l’applicabilité du motif d’exclusion à la personne en cause (la personne)? (la « question de la date »)
Comme il est indiqué à la section 5.3.2, la Cour d’appel fédérale a réglé la question de la date dans l’arrêt Majebi de 2016 selon les modalités décrites ci-dessousNote 10.
5.3.2. Jurisprudence concernant la question de la date
Dans l’arrêt
MajebiNote 11, la Cour d’appel fédérale a statué que l’examen selon la norme de la décision correcte menée par la SAR exigeait qu’elle considère le statut des personnes à la même date que la Section de la protection des réfugiés.
Dans l’arrêt Majebi, les personnes en cause ont présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SAR confirmant leur exclusion de la protection accordée aux réfugiés au titre de la section E de l’article premier. La SPR avait initialement conclu que toutes les personnes avaient un statut de résidence essentiellement semblable à celui des ressortissants italiens à la date de l’audience de la SPR et avait appliqué l’exclusion prévue à la section E de l’article premierNote 12. Cependant, à la date de la décision de la SPR, toutes les personnes avaient perdu leur statut en ItalieNote 13. En appel de la décision de la SPR, les personnes ont demandé à la SAR de tenir compte de la perte de leur statut en Italie depuis l’audience de la SPR, mais la SAR a refusé de le faire, s’appuyant sur l’arrêt ZengNote 14. La Cour fédérale a conclu que l’approche de la SAR était raisonnable et a rejeté la demande de contrôle judiciaire, mais elle a certifié la question suivante :
Pour déterminer si une personne est exclue de la protection accordée aux réfugiés au titre de la section E de l’article premier de la
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la question de savoir si cette personne bénéficie des droits et obligations attachés à la possession de la nationalité du pays dans lequel elle a établi sa résidence doit-elle être appréciée à la date de la tenue de l’audience devant la Section de protection des réfugiés [SPR], à la date de la décision de la SPR, ou à la date d’un appel instruit par la Section d’appel des réfugiésNote 15?
En appel, la Cour d’appel fédérale s’est montrée d’accord avec la Cour fédérale pour dire qu’il était raisonnable que la SAR applique l’arrêt Zeng et tienne compte du statut de la personne au dernier jour de l’audience de la SPRNote 16. La Cour d’appel fédérale a reformulé la question certifiée par la Cour fédérale en deux questions et y a répondu comme suit :
Question : La Section de protection des réfugiés devrait-elle évaluer l’exclusion au titre de la section E de l’article premier de la
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés au moment de l’audience sur la demande d’asile?
Réponse : Conformément à la décision de la Cour dans l’arrêt
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118, [2011] 4 RCF 3, une évaluation de l’exclusion au titre de la section E de l’article premier doit être faite au moment de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés.
Question : Lorsque la Section de la protection des réfugiés conclut avec raison qu’un requérant est ou n’est pas exclu en vertu de la section E de l’article premier de la
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés peut-elle réévaluer l’applicabilité de l’exclusion sur le fondement de faits qui surviennent après l’audition devant la Section de la protection des réfugiés?
Réponse : À moins que la Section d’appel ne conclue que la décision de la Section de la protection des réfugiés a été rendue par erreur, la Section d’appel ne peut pas réexaminer
de novo la question de l’exclusion en vertu de la section E de l’article premierNote 17.
En outre, la Cour d’appel fédérale a fait les commentaires suivants au paragraphe 8 de ses motifs :
[8] Enfin, nous rejetons le plaidoyer des appelants voulant que la Section d’appel eût dû arriver à sa propre conclusion indépendante sur la question de savoir si un demandeur avait été exclu au moment de l’appel. Cet argument est incompatible avec la décision de la Cour dans l’arrêt
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, 396 DLR (4th) 527, où la Cour, aux paragraphes 78 et 79, a conclu que « la [Section d’appel] doit intervenir quand la [Section de la protection des réfugiés] a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit » et « [qu’]un appel auprès de la [Section d’appel] ne constitue pas un véritable processus
de novo ». Autrement dit, la Section d’appel ne peut intervenir dans des circonstances où elle juge que la décision de la Section de la protection des réfugiés d’exclure les appelants était correcte. L’examen selon la norme de la décision correcte menée par la Section d’appel exigeait qu’elle considère la situation des appelants le même jour où la Section de la protection des réfugiés l’a considérée. Sinon, la Section d’appel trancherait une question différenteNote 18.
Depuis la publication de l’arrêt Majebi en 2016, la Cour fédérale a toujours appliqué la décision rendue dans cet arrêt, confirmant le caractère raisonnable des décisions de la SAR lorsque celle-ci refusait de tenir compte de la perte possible du statut de la personne en cause dans le pays de résidence après l’audience de la SPRNote 19.
Par exemple, dans la décision Jean-PierreNote 20, un Haïtien a contesté la décision de la SAR confirmant son exclusion de la protection accordée aux réfugiés au titre de la section E de l’article premier. À la date de l’audience de la SPR, le statut de résident permanent au Brésil de la personne en cause était valide. Cependant, son statut au Brésil avait expiré plus de neuf mois avant la décision de la SAR. En s’appuyant sur la décision rendue dans l’arrêt Majebi, la SAR a examiné le statut de la personne en cause à la date de l’audience de la SPR et a confirmé son exclusion de la protection accordée aux réfugiés. La Cour a confirmé que la décision de la SAR était raisonnable, soulignant que l’audience devant la SPR était « le moment pertinent quant à l’analyse de l’exclusion au titre de l’article 1ENote 21 ».
Dans l’arrêt Abel, la Cour d’appel fédérale a trouvé difficile d’expliquer pourquoi la Cour fédérale avait certifié la question à l’origine de l’appel. La question certifiée visait à déterminer si la SAR avait commis une erreur en refusant de tenir compte du temps écoulé depuis l’audience de la SPR et de la perte de statut qui en a résulté. La Cour d’appel a conclu que, de l’aveu même de la Cour fédérale, l’arrêt Majebi avait clairement tranché la question et liait la SARNote 22.
5.5. Nouvelles questions et la section E de l’article premier
Dans l’arrêt
Mian, un appel en matière criminelle, la Cour suprême du Canada a défini une « nouvelle question » comme suit :
Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer — autre que les moyens d’appel formulés par les parties — pour conclure que la décision frappée d’appel est erronée. Les questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties […] et on ne peut pas raisonnablement prétendre qu’elles découlent des questions formulées par les parties. Vu cette définition, dans le cas de nouvelles questions, il faudra aviser les parties à l’avance pour qu’elles puissent en traiter adéquatementNote 25.
Dans la décision Ching, la Cour fédérale a fait référence aux principes de l’arrêt Mian concernant les nouvelles questions et a déterminé qu’il convient d’étendre la validité de ces principes au‑delà du contexte des appels en matière criminelle et de les appliquer, compte tenu des modifications nécessaires, aux appels interjetés à la SARNote 26. Voir le chapitre 3 : Nouvelles questions pour une discussion approfondie sur la jurisprudence en la matière.
Par conséquent, lorsque la SAR soulève l’exclusion au titre de la section E de l’article premier comme nouvelle question à trancher, elle doit d’abord donner avis qu’elle envisage l’exclusion au titre de la section E de l’article premier et donner l’opportunité de répondre avant qu’elle tranche la question.